« Charles Wyplosz s’est demandé dans une colonne publiée sur VoxEU quelle pourrait être l’efficacité de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) que la Banque Centrale Européenne (BCE) a récemment annoncé. Son principal motif d’inquiétude, c’est que l’assouplissement quantitatif de la BCE s’appuie sur l’offre, alors que celle mise en œuvre par les autres banques centrales se fondent sur la demande.

Dans le cas de la Réserve fédérale des Etats-Unis ou de la Banque d’Angleterre, la banque centrale achète des titres et ces titres accroissent de façon permanente la taille du bilan de la banque centrale. La liquidité est fournie, qu’importe l’action des banques commerciales. A l’inverse, la BCE s’est jusqu’à présent toujours appuyée sur la demande de liquidité émanant des banques commerciales. La BCE accorde des prêts aux banques commerciales et, aussi longtemps que les banques commerciales demandent ces prêts, le bilan de la banque centrale s’accroît aussi (les dépôts des banques commerciales constituant le passif qui apparaît de l’autre côté du bilan). Mais cela signifie que c’est en fait les banques commerciales qui conduisent l’assouplissement quantitatif. C’est leur désir de détenir plus de liquidité qui détermine l’expansion (ou la contraction) du bilan de la BCE.

Pour comprendre ces dynamiques, il y a certains graphiques intéressants sur le site internet de la BCE. Premièrement, la taille totale du bilan de la BCE :



Nous pouvons voir qu’après 2008 la taille du bilan de la BCE s’est accrue à plusieurs reprises d’environ 3 mille milliards d’euros. Mais nous pouvons aussi voir que depuis 2013 le bilan a diminué de plus de mille milliards d’euros (et personne ne l’a souligné). Qu’est-ce que la BCE a fait ? Pas grand-chose. C’est simplement le résultat de l’action des banques commerciales qui remboursent les prêts qu’elles ont contractés plus tôt auprès de la BCE. Voici le graphique avec ces prêts (« le crédit relatif aux opérations de politique monétaire ») :



Et rappelez-vous que ces prêts doivent bien apparaître quelque part d’autre dans le côté passif de la BCE, ils apparaissent comme dépôts des banques commerciales (réserves). Voici les bilans de deux comptes où ces fonds sont détenus (le compte courant et la facilité de dépôt).





La dynamique des quatre graphiques est assez claire : avec la liquidité que la BCE met à disposition, les banques commerciales ont demandé un très large montant de prêts. Cela a accru la taille du bilan et les dépôts de banques commerciales auprès de la BCE. Cette liquidité a limité les répercussions de la crise sur le prêt au secteur privé (et elle a probablement protégé le secteur financier d’une crise encore plus sévère). Mais comme les conditions économiques se sont stabilisées, voire même améliorées, les banques commerciales ne ressentirent pas le besoin de détenir des montants de liquidité aussi importants, donc elles ont juste remboursé les prêts à la banque centrale. Le fait que les taux d’intérêt sur ces dépôts soient désormais négatifs conduit à une accélération de cette tendance. Donc les actions des banques centrales (telles que les taux d’intérêt négatifs sur les dépôts bancaires) n’incitent finalement pas les banques commerciales à prêter au secteur privé, mais elle conduit à une chute substantielle de la liquidité créée par la BCE (bref à un assouplissement quantitatif inversé !).

Au cours des derniers mois, la BCE a essayé d’être plus agressive, premièrement avec le lancement d’opérations de long terme ciblées (TLTRO) en juin. Mais les détails de ce projet sont toujours imprécis (est-ce que quelqu’un s’en souvient ?) et sa réussite dépend à nouveau de la volonté des banques commerciales à prêter au secteur privé et à financer ce prêt via la banque centrale. Nous nous voyons juste les banques commerciales rembourser toute la liquidité qu’elles ont précédemment empruntée auprès de la BCE. Pourquoi en demanderaient-elles plus ?

Lors de la dernière conférence, la BCE a annoncé un changement de stratégie avec le projet d’achats de titres adossés sur actifs. Alors que dans un certain sens, c’est la première fois que la BCE s’engage dans un assouplissement quantitatif conduit par l’offre (aucun prêt n’est associé à ces achats), la présentation du projet n’indique pas clairement si la BCE s’engage à accroître durablement son bilan. En outre, le montant de ces achats risque d’être faible, si faible qu’il est susceptible de ne pas compenser la contraction du bilan de la BCE que nous avons observée l’année dernière. Malheureusement la BCE va probablement bientôt faire face aux mêmes questions auxquelles elle fit face ces dernières années : que faire ensuite ? »

Antonio Fatás, « ECB: QE or QT (quantitative tightening)? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 14 septembre 2014. Traduit par Martin Anota