« Des fois, lorsque je publie des billets à propos de la zone euro, je reçois certains commentaires qui s’insurgent contre l’idée d’appliquer des "modèles anglo-saxons" pour voir comment l’économie fonctionne. Je pense que par "anglo-saxons", ils entendent "keynésiens". C’est n’importe quoi. Ce que je me contente de faire, c’est d’utiliser le cadre qui est utilisé par la plupart des modélisateurs macroéconomique à travers le monde. Or, ce cadre dit que si vous avez une contraction budgétaire aussi ample que celle illustrée par le graphique sans qu’elle soit accompagnée par un puissant assouplissement de la politique monétaire pour en compenser les effets récessifs, alors il est normal que la production stagne et que le chômage augmente fortement.

GRAPHIQUE Soldes primaires des gouvernements de la zone euro (en % du PIB)

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Est-ce que l’ampleur de la contraction budgétaire explique en soi la seconde récession de la zone euro ? Il y a plusieurs manières de répondre à cette question : par exemple, jetez un coup d’œil à cette étude de Jordà et Taylor ou bien à cette analyse de Holland and Portes qui utilise un modèle économique structural. Un article plus récent de Ansgar Rannenberg, Christian Schoder et Jan Strasky y répond différemment. Les trois auteurs utilisent des versions modifiées de trois modèles DSGE pour analyser l’impact de la contraction budgétaire de la zone euro entre 2011 et 2013. L’un de ces modèles est le modèle QUEST III de la Commission Européenne, que Jan in‘t Veld a lui-même utilisé dans sa propre analyse (…). Les deux autres modèles sont FiMod, développé par la Bundesbank et la Banque d’Espagne, et NAWM, le modèle de la BCE. Bref, des modèles qui ne pas très "anglo-saxons" !

Les modifications que les auteurs apportent à ces trois modèles et les détails de leur analyse intéresseront probablement les modélisateurs invétérés en macroéconomie comme moi. Je les invite à lire l’article dans son entier. Citons simplement leurs principales conclusions : "Nous constatons que la consolidation budgétaire a provoqué une baisse cumulative du PIB comprise entre 14 % et 20 % du PIB annuel au cours de la période 2011-2013 dans la zone euro, ce qui implique un multiplicateur budgétaire cumulatif compris entre 1,5 et 2,2. (…) Par conséquent, les répercussions de la consolidation budgétaire sur le PIB de la zone euro sont significatives et elles suffisent largement pour expliquer la récente récession de la zone euro."

L’idée selon laquelle une large contraction budgétaire menée immédiatement après une puissante crise financière aurait entraîné une seconde ne se résume pas aux élucubrations d’un groupe d’économistes "anglo-saxons" ou d’une "école de pensée" en macroéconomie. C’est juste de la macroéconomie standard. Et nous ne devons jamais oublier que cette récession n’est due au seul ajustement de quelques pays "périphériques", notamment l'Espagne : comme le graphique ci-dessus le montre, le reste de la zone euro a également embrassé l’austérité budgétaire. Comme le suggèrent les stimulations décrites dans ce document en utilisant le modèle belge NIME, ces coûts auraient pu être évités si la consolidation budgétaire avait été retardée jusqu’à ce que la politique monétaire puisse être capable de les compenser. Bref, ce n’est pas simplement une récession prévisible. Elle a été provoquée sans aucune justification par les responsables politiques. On aurait donc pu l’éviter. »

Simon Wren-Lewis, « The entirely predictable recession », in Mainly Macro (blog), 26 septembre 2014. Traduit par Martin Anota