« La faible inflation s’est installée dans la zone euro depuis 2013. Les taux d’inflation globale et d’inflation sous-jacente sont tous deux inférieurs à 1 %. Les enquêtes suggèrent que le risque de déflation persistante (c’est-à-dire d’une baisse généralisée et autoalimentée des prix) reste relativement limité. Cependant, si l’inflation restait durablement faible, elle ne pourrait que compliquer les efforts de désendettement, notamment des Etats.

En théorie, la faible inflation peut accroître le ratio d’endettement public via trois principaux canaux :

  • Premièrement, les gouvernements vont capter moins de ressources réelles via la création monétaire (les recettes de seigneuriage) ;
  • Deuxièmement, la faible inflation peut accroître le ratio dette publique sur PIB en alourdissant le fardeau de la dette. L’impact de ce canal dépend de la structure des échéances, de la composition en devises de la dette et de la réaction des taux d’intérêt au ralentissement de l’inflation. Les répercussions de la faible inflation sont plus limitées pour les titres de court terme et à taux variable. Les ratios d’endettement libellés en devises étrangères ne devraient pas être affectés si le taux de change reflète pleinement les différentiels d’inflation.
  • Troisièmement, la faible inflation peut détériorer les soldes primaires en affectant aussi bien les recettes fiscales que les dépenses publiques. Le sens et l’ampleur de ces répercussions dépendent du cadre institutionnel. Par exemple, les délais dans la perception des impôts peuvent accroître le ratio impôts sur PIB à court terme, puisque les impôts sur le revenu sont basés sur les revenus de l’année précédente. Par conséquent, la valeur nominale des perceptions d’impôts sur le revenu peut temporairement augmenter plus rapidement que les prix courants. A l’inverse, dans les pays où les tranches d’imposition sont imparfaitement ou aucunement indexées sur l’inflation, un ralentissement de l’inflation va réduire les ratios de recettes (…) dans la mesure où la plus lente croissance des revenus nominaux ralentit le passage des contribuables aux tranches supérieures. En ce qui concerne les dépenses publiques, le ratio salaires sur PIB peut s’accroître s’il est déterminé par les accords passés ou si les anticipations d’inflation ne sont que lentement revues à la baisse. (…)



GRAPHIQUE 1 Impact annuel d’une faible inflation persistante sur les variables budgétaires (en points de pourcentage du PIB)

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GRAPHIQUE 2 Evolution de la dette publique dans une situation de faible inflation persistante (en % du PIB, moyenne de l’échantillon)

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D’un point de vue empirique, les données sur l’impact de la faible inflation sur les ratios d’endettement sont limitées. Au cours des 100 dernières années, dans les pays avancés, nous relevons seulement quatre cas où l’inflation est passée de l'intervalle 1-4 % à l'intervalle 0-1 % d’une manière persistante (c’est-à-dire pour une période supérieure à trois ans) : il s’agit des cas de l’Italie (en 1912), de la Suisse (en 1996 et en 2011) et du Japon (en 1986). Durant ces épisodes, les ratios d’endettement public se sont accrus en moyenne de 1,25 point de pourcentage du PIB par an, en raison d’une détérioration du solde primaire et des différentiels intérêt-croissance (cf. graphiques 1 et 2).

GRAPHIQUE 3 Anticipations d'inflation et trajectoires de la dette publique en zone euro

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En utilisant le cadre analytique développé par Akitoby, Komatsuzaki et Binder (2014), nous simulons l’impact que la faible inflation est susceptible d’avoir sur le ratio d’endettement public de la zone euro via ses répercussions sur les recettes du seigneuriage et le fardeau d’endettement. Nous supposons que les taux d’intérêt des titres nouvellement émis s’ajustent au même rythme que l’inflation (c’est-à-dire que l’effet Fisher joue à plein). Sous cette hypothèse, un ralentissement de l’inflation va retarder la baisse de la dette publique d’une année par rapport aux prévisions de base, en raison de l’alourdissement du fardeau de la dette. En 2019, le ratio dette publique brute sur PIB moyen sera supérieur d’environ 4,75 points de pourcentage au niveau qu’il aurait sinon atteint (cf. graphique 3). L’impact sur les recettes de seigneuriage (qui n’est pas représenté sur le graphique) est plus modeste : une hausse du ratio d’endettement d’environ 1 point de pourcentage en 2019. En outre, si la faible inflation était associée à une stagnation de la croissance économique, les soldes primaires se détérioreraient davantage avec le tassement des recettes et le gonflement des dépenses, ce qui aggraverait le fardeau de la dette. Dans un scénario combinant faible inflation et stagnation économique, la hausse du ratio dette publique sur PIB moyen va s’accroître de 9 points de pourcentage par rapport au scénario de base. »

FMI, « Lowflation and debt in euro area », in Fiscal Monitor - Back to Work: How Fiscal Policy Can Help, octobre 2014, page 15. Traduit par Martin Anota