« La stabilité des prix est le principal objectif de la BCE, comme l’affirme l’article 127 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (1). La BCE a dû interpréter la stabilité des prix et elle l’interprète comme "un taux d’inflation inférieur à, mais proche de, 2 % à moyen terme". Pourquoi "inférieur à, mais proche de" ? Si cela signifie 1,8 % ou 1,9 %, le taux d’inflation est très éloigné de sa cible. Comment la BCE sait-elle qu’une inflation de 1,8 % est la bonne cible à adopter ?

Je soupçonne que la réponse est que cette formulation est en fait un compromis entre ceux qui veulent un engagement de la banque centrale à assurer une inflation inférieure à 2% (par exemple, une inflation de 0%) et ceux qui veulent juste 2 %. Est-ce une ambigüité constructive ? Je ne vois pas comment cela pourrait être le cas. Le ciblage d’inflation n’est précisément efficace que s’il fournit un signal clair à propos des objectifs des autorités monétaires.

Maintenant ceci ne serait pas aussi important si toutes les personnes impliquées dans la définition de la politique monétaire de la BCE partageaient le même avis. Ce n’est pas le cas. Voici ce que pense Jürgen Stark (qui fut souvent présenté comme l’économiste en chef de la BCE jusqu’à ce qu’il parte fin 2011) à propos de la conjoncture courante :

"Le taux d’inflation actuel de 0,3 % est dû au déclin significatif des prix des matières premières et à l’ajustement douloureux, mais inévitable, des coûts et des prix dans les pays périphériques. Seule la Grèce a actuellement un taux d’inflation légèrement négatif. En d’autres mots, la stabilité des prix règne dans la zone euro. Cela renforce le pouvoir d’achat et finalement la consommation privée. La BCE a rempli son mandat pour aujourd’hui et l’avenir immédiat. Il n’y a pas besoin de nouvelle mesure de politique monétaire à court terme."

Ces idées sont-elles du passé ? Ou certaines personnes qui continuent de siéger au conseil de gouvernance ont toujours de la sympathie pour ces idées ? Est-ce une question de principe ou d’intérêt général ? En effet, la BCE a fortement réduit ses taux lorsque l’économie allemande était déprimée entre 2002 et 2005 au lieu de laisser l’inflation chuter en-dessous de 2 %. De telles spéculations profitent à ceux qui font de la monnaie avec, mais les cibles d’inflation doivent être claires et sans ambigüité. Laisser les gens croire que la BCE ne s’inquiète pas trop d’une inflation allant sous 2 % peut être très dangereux en raison de la borne inférieure zéro (zero lower bound).

La solution à ce problème semble terriblement simple. Les économistes débattent quant à savoir si les cibles d’inflation doivent être supérieures, et non inférieures, à 2 %, parce que les chances d’atteindre la borne inférieure zéro sont clairement plus grandes qu’on ne le pensait auparavant. Maintenant que Stark et d’autres ne sont plus là, la BCE peut se mettre d’accord (par un vote à la majorité si nécessaire) pour cibler seulement 2 % et ceux qui ne sont pas d’accord avec cette décision peuvent partir (comme le fit officiellement Stark) pour "raisons personnelles". Si la BCE ne peut faire ceci par elle-même, alors les gouvernements de la zone euro doivent le lui imposer. Je n’ai jamais compris pourquoi la cible d’inflation devait être seulement décidée entre les murs des banques centrales.

Une dernière réflexion à propos de l’article de Stark. Il utilise lui aussi l’expression "économistes anglo-saxons". Je ne sais pas ce qu’il entend exactement par là. Pour certaines des personnes qui commentent mes billets, cette expression suggère que nous cherchions à faire échouer la zone euro, mais est-ce bien ce que suggère Stark en employant cette expression ? Peut-être qu’il y a bonnes raisons expliquant pourquoi les théories économiques développées au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ne s’appliquent pas à la zone euro. Cependant, le travail réalisé par les économistes de la BCE ne semble pas s’éloigner des travaux de la Fed ou du FMI. Stark doit le savoir. Certains font référence à l’ordolibéralisme. Mais si l’ordolibéralisme se distingue du néolibéralisme anglo-saxon avant tout sur le plan théorique et non sur le plan pratique, c’est non pas qu’elle s’appuie moins sur l’économie standard, mais bien trop sur celle-ci. Si cette expression fait référence aux personnes qui sont en désaccord avec le paragraphe que j’ai cité ci-dessus, alors je pense que plusieurs économistes qui ne sont pas anglo-saxons feraient partie de ce groupe. Peut-être que nous ne saurons jamais ce que cette expression signifie, tout comme l’expression "inférieure à, mais proche de, 2 %". »

Simon Wren-Lewis, « Defining price stability », in Mainly Macro (blog), 8 octobre 2014. Traduit par Martin Anota