« Hans-Werner Sinn a publié un nouveau livre dans lequel il analyse les causes et solutions potentielles à la crise de la zone euro : The Euro Trap: on Bursting Bubbles, Budgets and Beliefs. Je n’ai pas encore lu le livre, mais j’ai tout de même regardé la vidéo de la présentation qu’il en a faite il y a un mois au Peterson Institute for International Economics. La vidéo aussi bien que sa transcription écrite sont disponibles sur le site web de PIIE.
Pour ceux qui ont suivi les écrits de Hans-Werner Sinn, il ne devrait pas y avoir de surprise dans la présentation. Ses vues sont très cohérentes et elles se focalisent essentiellement sur les déséquilibres en termes de coût qui se sont accumulés avant la crise (la périphérie serait devenue non compétitive, les taux d’intérêt auraient été trop faibles). Ces déséquilibres stimulèrent une croissance insoutenable et celle-ci retarda la mise en œuvre de réformes structurelles pourtant nécessaires. Son analyse des années de crise est très similaire : les renflouements mis en œuvre par la BCE et par les autres institutions et l’insuffisante austérité budgétaire ont aussi incités les gouvernements à retarder la mise en œuvre des réformes.

Fred Bergsten fit quelques commentaires judicieux suite à la présentation de Sinn. Il est en accord avec le livre lorsque celui-ci met en lumière certaines faiblesses parmi les pays-membres de la zone euro (c’est difficile d’être en désaccord avec l’idée que les réformes ne sont mises en œuvre que très lentement en Europe et que les gouvernements vont toujours trouver une excuse pour les ralentir davantage). Mais Bergsten met l’accent sur les bénéfices économiques que l’Allemagne a tiré de la création de la zone euro. Il poursuit en disant que l’Allemagne est peut-être le seul pays qui ait jusqu’à présent bénéficié de l’euro (allant par là à l’encontre des idées répandues en Allemagne quant aux gagnants et perdants de l’UEM).

Bergsten aurait pu davantage insister sur le rôle excessif que Sinn fait jouer aux prix relatifs et à la compétitivité. L’idée selon laquelle le coût de la production devint excessivement élevé et insoutenable dans les pays périphériques et qu’il requiert désormais que la périphérie bascule dans la déflation pour être corrigé (et une certaine inflation en Allemagne) est récurrente dans les présentations de Sinn. Mais les données ne soutiennent pas complètement cette idée. Ce n’est pas que les prix relatifs n’importent pas, mais ils n’importent pas autant que Sinn affirme et j’irais plus loin en affirmant qu’ils ne jouent pas un rôle central dans ce que les pays-membres de la zone euro ont connu avant ou après la crise.

Voici un petit graphique pour étayer mes idées. Elle représente la valeur des exportations de biens (les données sont originellement en milliards de dollars américains et tirées de l’OCDE) pour l’Allemagne, la France et l’Espagne depuis que l’euro a été créé. Les données sont exprimées en indices avec comme base 100 le premier trimestre 1999.

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Il est difficile de voir dans ce graphique l’histoire selon laquelle les prix élevés de la périphérie aient réduit la croissance via le manque de compétitivité (que ce soit avant ou après la crise). Même comparé à l’Allemagne qui a pourtant mis en œuvre une puissante dévaluation interne en contenant la croissance des salaires nominaux, les exportations en Espagne croissaient aussi rapidement aujourd’hui qu’avant la crise et plus rapidement qu’en Allemagne. Oui, le compte courant de l’Espagne fut sur une trajectoire insoutenable, mais celle-ci s’explique par les mouvements de capitaux qui financèrent des importations excessives.

Ensuite, pourquoi autant insister sur les prix ? Parce qu’elle s’adapte très bien la rhétorique du mauvais comportement qui mena à la crise. Selon cette perception, les pays appartiennent à l’un des deux groupes : les victimes et les coupables. Et cette distinction expliquerait tout : les différences entre les épargnants et les emprunteurs, entre ceux qui réforment et ceux qui ne réforment jamais, entre ceux qui contrôlent leur dette et ceux qui la laissent juste s’accroître, entre ceux dont les travailleurs sont raisonnables et acceptent de moindres niveaux de vie et ceux où ils ne le sont pas et veulent pour vivre au-dessus de leurs moyens. La réalité est plus complexe que ça, les pays n’appartiennent pas toujours au même côté des déséquilibres, certains déséquilibres ne sont pas pertinents pour expliquer la crise et chaque déséquilibre a deux côtés. »

Antonio Fatás, « The false rhetoric of (Euro) victims and offenders », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 9 novembre 2014. Traduit par Martin Anota