« Supposons qu’il y ait une insuffisance de la demande associée à une hausse du chômage involontaire dans une simple économie fermée sans capital. Devons-nous chercher à accroître la consommation privée (C) ou la consommation du gouvernement ? Si c’est la consommation privée qu’il faut accroître, faut-il le faire via la politique monétaire ou via des réductions d’impôts ?

Si les consommateurs ont des préférences stables concernant des biens produits par des entreprises privées et ce de façon transparente, alors l’idéal serait de garder le ratio C/G à son niveau optimal. Donc si l’insuffisance de la demande agrégée s’explique par une chute soudaine de C, nous devons faire quelque chose pour accroître C. Comme les taux d’intérêt sont les prix de la consommation courante relativement à la consommation future, alors la meilleure politique à adopter consiste à fixer les taux d’intérêt nominaux de manière à obtenir le taux d’intérêt réel qui stimule suffisamment C pour éliminer l’insuffisance en consommation. C’est cet argument qui explique pourquoi l’on préfère aujourd’hui utiliser la politique monétaire comme instrument de stabilisation (...).

Dans des modèles néoclassiques ou de cycles d’affaires réels, tout cela arrive par magie. Ça passe par ce que l’on appelle la "flexibilité des prix", mais c’est magique parce que ces modèles expliquent rarement comment une insuffisance de la demande agrégée pourrait se traduire par de moindres taux d’intérêt réels. Dans le monde réel, les magiciens sont les banques centrales. Notons toutefois que je n’ai pas parlé des délais de mise en œuvre des politiques monétaire et budgétaire. C'est en raison de ces délais que les manuels suggèrent qu'il est préférable d'utiliser la politique monétaire. Ce n’est toutefois pas pour cela que je préfère la politique monétaire.

Qu’est-ce qui se passe si la demande agrégée est insuffisante parce que l’"offre" s’accroît avec le progrès technique ? Une fois encore, la meilleure politique à mettre en œuvre est de diminuer les taux d’intérêt pour stimuler la consommation, mais nous désirons aussi élever la consommation publique pour garder le ratio C/G à son niveau optimal.

Enfin, considérons un choc plus complexe, en l’occurrence un choc qui accroît les coûts (cost-push shock) (…), relevant l’inflation pour chaque niveau de production et de demande agrégée. Nous savons qu’il faut une politique pour réduire la production (afin de générer un écart de demande négatif) pour freiner l’inflation, en supposant que l’écart de production (output gap) et l’inflation soient coûteux. Cependant, ici, il apparaît moins clairement que la politique monétaire est le meilleur instrument. Pourtant, comme Fabian Eser, Campbell Leith et moi-même l’avons montré dans une étude, elle l’est toujours. Il s’avère que nous pouvons compliquer le modèle de diverses manières (mais pas d’autres) et nous constatons à nouveau que la politique monétaire maximise le bien-être collectif.

Si nous retournons au cas d’un écart de demande négatif provoqué par une chute de la consommation, supposons que nous ne pouvons pas utiliser la politique monétaire parce que les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne zéro (zero lower bound). Comme nous voulons accroître la consommation privée, l’alternative évidente est de réduire les impôts. Si nous disposons d’un impôt censitaire (un impôt dont le montant ne dépend pas du revenu, comme le cens) et si les consommateurs réagissent à une réduction d’impôt, alors cela pourrait marcher. Il y a deux problèmes : l’équivalence ricardienne et le fait qu’il n’existe pas d’impôt censitaire.

Si l’équivalence ricardienne marchait complètement, les réductions d’impôt seraient totalement inefficaces pour stimuler la consommation, mais les données empiriques suggèrent que l’équivalence ricardienne ne marche pas. Mais ces données suggèrent qu’au moins la moitié de la réduction d’impôt, voire même sa totalité, serait épargnée, ce qui signifie que le montant des réductions d’impôts devra être énorme pour clore l’écart de consommation. Cela ajoute aussi un degré d’incertitude à leur efficacité. S’il y a une quelconque limite financière sur l’ampleur du plan de relance (ce qui semble être en général le cas), il semble encore moins opportun d’utiliser les réductions d’impôts pour générer un effet de revenu. Même s'il n'y a pas de contrainte de financement, la faible efficacité des réductions d’impôts dans la stimulation de la consommation se révèle problématique pour une autre raison.

Les impôts censitaires n’existent pas, donc les impôts dont nous disposons génèrent des perturbations (en influençant les incitations auxquelles sont soumis les agents économiques). Cela signifie qu’une réduction d’impôts complique le lissage intertemporel des dépenses de consommation. L’idée est que la meilleure politique est celle qui n’aggrave pas les distorsions fiscales. Un taux d’imposition de 30 % est meilleur qu’un taux d’impôts de 10 % dans les années impaires et de 50 % dans les années paires. Donc réduire l’écart de consommation avec une réduction d’impôts (pour ensuite les relever à nouveau) a un coût. Plus une part importante des réductions d’impôts est épargnée, plus le coût est important. Il est peu probable que ce coût sera suffisant pour nous convaincre de ne pas chercher à combler l’écart de consommation, parce que les coûts associés au chômage sont plus grands qu’une aggravation des distorsions fiscales. Il y a malgré tout des coûts, contrairement à la modification des taux d’intérêt réels.

Par contre, il est plus simple d'accroître les dépenses publiques pour clore un écart de demande, dans la mesure où son impact sur la demande et l’emploi est plus prévisible. Mais ce n’est pas sans coûts : nous n’obtenons pas le ratio C/G désiré (le niveau de G est trop important comparé à celui de C). Chris House a publié un billet où il compare les réductions d’impôts et les dépenses publiques comme mesures alternatives de relance budgétaire. (Noah Smith a lui-même écrit un billet par la suite et Chris lui a répondu.) Ce qu'il veut montrer, c'est que les dépenses publiques doivent seulement être utilisées comme mesure de relance si ses bénéfices sociaux dépassent ses coûts sociaux. Je ne suis pas sûr que cela nous aide vraiment à nous décider. Il vaut mieux, selon moi, accepter l’idée que l’écart de demande doit être refermé (parce que les coûts d’une inaction sont excessivement élevés) et de déterminer ensuite quelle est la manière qui permette de le faire en occasionnant le moins de dommages collatéraux. Ce sera très certainement par une hausse de G plutôt que par une réduction d’impôts. Ce sera certainement le cas s’il y a une contrainte de financement limitant la taille de la relance.

Le même raisonnement peut et doit être appliqué à la politique monétaire non conventionnelle, mais ce sera l’objet d’un autre billet »

Simon-Wren Lewis, « Filling the gap: monetary policy or tax cuts or government spending », in Mainly Macro (blog), 27 août 2014.