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« Pour l’avenir à long terme de l’économie américaine et donc de l’économie mondiale, aucun sujet n’est plus important que la probable trajectoire de la croissance de la productivité. Le McKinsey Quarterly célèbre ses 50 ans de publications avec son numéro de septembre 2014. Ce numéro comprend un bref entretien de Robert Solow mené par Martin Neil Baily et Frank Comes.

Robert Solow a bien sûr gagné en 1987 le prix d’économie de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel (couramment appelé le "prix Nobel d’économie") "pour sa contributions à la théorie de la croissance économie". Pour résumer, Solow a démontré que l’accumulation du travail et du capital ne suffit pas pour expliquer le processus de croissance économique et que le progrès technique joue un rôle important dans ce dernier. Si cette idée nous semble désormais évidente, c’est notamment grâce au travail que Solow réalisa il y a un demi-siècle. Solow est aussi l’un des plus brillants commentateurs en économie. Voici certains des commentaires qu’il fit lors de son entretien :

Solow à propos de la conjecture économique

"Comme n’importe quel macroéconomiste normal, j’ai toujours évité la prévision comme si c’était une horrible maladie. Et c’en est vraiment une. Elle s’attaque vraiment aux tissus. Donc je ne pense pas qu’on puisse en dire beaucoup."

Solow à propos de l’intensité en capital du secteur tertiaire

"Je ne pense pas que nous ayons une idée claire de ce qu’est l’intensité relative du capital dans le secteur des services ou entre ce dernier et le secteur produisant des biens. Je me souviens que j’avais un jour écrit quelque chose dans lequel je décrivais le service tertiaire comme étant caractérisé par une faible intensité relative du capital. Puis j'ai arrêté d'écrire lorsque je me suis rappelé que j’avais le lendemain un rendez-vous chez mon dentiste : son cabinet est l’endroit le plus intensif en capital que j’ai pu voir au cours de mon existence."

Solow à propos de l’importance de la concurrence mondiale sur la croissance de la productivité

"Ce qui m’apparaissait comme vraiment nouveau, c’était que, lorsque vous compariez le même secteur d’un pays à l’autre, il y avait toujours de très fortes différences, soit en termes de productivité du travail, soit en termes de productivité globale des facteurs. A ma grande surprise, la plupart du temps, les écarts en termes de productivité (entre les Etats-Unis et les pays européens, que ce soit dans l’industrie automobile, dans la métallurgie ou dans la construction) étaient non seulement importantes, mais elles ne pouvaient vraiment pas s’expliquer par l’accès à la technologie.

Nous avons aussi constaté que les écarts en termes de productivité ne pouvaient s'expliquer par l’accès aux capitaux d’investissement. Le secteur automobile français s’est révélé être plus intensif en capital que le secteur automobile américain. Donc ça ne pouvait pas non plus s’expliquer ainsi. Les études du McKinsey Global Institute (MGI) expliquèrent en fait ces écarts de productivité par les différences en termes d’organisation, par la façon par laquelle les tâches étaient réparties dans une entreprise ou dans une branche d’entreprise, c’est-à-dire essentiellement par les décisions des dirigeants et notamment par leurs erreurs.

J’ai immédiatement douté de ça. Je me suis dit 'que peut-on attendre de consultants en management, si ce n’est parler des différences en termes de management ? C’est dans leurs gènes. Mais ce n’est pas dans les miens'. Mais MGI sut faire une démonstration très convaincante. J’ai fini par croire que c’était vrai…

Il y a autre chose de surprenant, qui n’est confirmée que par très peu de données empiriques. Si vous vous demandez pourquoi il y a des différences qui pourraient être effacées ou tout du moins réduites par un meilleur management, vous vous dites qu’il faut une vive concurrence pour pousser les dirigeants à faire ce qu’ils sont en principe capables de faire. Donc l’idée selon laquelle tout le monde cherche partout et toujours à maximiser les profits ne se révélait pas aussi exacte que ça.

MGI démontra de façon convaincante que ce qui caractérise les secteurs à la traîne, qu’ils soient localisés aux Etats-Unis ou dans d’autres pays, c'est qu'ils étaient insuffisamment en concurrence avec celui qui se révèle avoir la meilleure pratique dans le monde. Et cela peut bien sûr s’appliquer au niveau d’un pays. Nous savons que dans n’importe quel secteur, il y a des écarts de productivité entre les entreprises et même, quelques fois, entre les établissements d’une même entreprise. Et cela doit essentiellement s’expliquer par le manque d’incitation à faire plus. Donc, cela nous amène à conclure que le rôle du commerce international va au-delà de la seule exploitation de l’avantage comparatif. Elle donne une petite frayeur aux dirigeants de haut niveau dans plusieurs pays. Et la peur se révèle être une importante source de motivation… Elle va même au-delà de ça. Entrer sur les marchés internationaux est une manière de gagner en échelle. Si vous êtes une entreprise belge ou même une entreprise française, il se peut que pour adopter la meilleure pratique vous devez avoir une échelle de production plus grande que ce que le marché domestique français puisse offrir. Donc il est important que de telles entreprises aient accès aux marchés internationaux." »

Timothy Taylor, « Robert Solow on topics in productivity growth », in Conversable Economist (blog), 1 novembre 2014. Traduit par Martin Anota