« La stagnation séculaire ne signifie pas la même chose d’un auteur à l’autre, mais une idée partagée par tous est que les taux d’intérêt réels ont décliné depuis les années quatre-vingt. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette baisse (…). Si plusieurs d’entre elles paraissent plausibles (en particulier l’idée selon laquelle la réduction de la croissance démographique va réduire les taux d’intérêt réels), pris isolément, elles ne suffisent pas pour l’expliquer. Nous sommes très certainement en face d’un phénomène ayant de multiples causes. Voici un autre mécanisme que l’on pourrait ajouter à la liste, en l’occurrence la chute des prix des nouveaux biens d’investissement.

Bien que ce lien entre les prix des biens d’investissement et la stagnation séculaire ait déjà été suggéré auparavant, j’aimerais me pencher sur un nouveau document de travail réalisé par Gregory Thwaites pour le compte la London School of Economics et de la Banque d’Angleterre, où il explore cet effet dans un modèle complet. Son article présente certaines similarités avec l’article d’Eggertsson et de Mehrotra dont j’ai précédemment parlé (par exemple, il utilise un modèle à générations imbriquées à trois périodes), mais il se focalise bien plus sur l’effet des prix des biens d’investissement.

L’un des aspects les plus frappants des dernières décennies a été la croissance relativement faible du prix des biens d’investissement relativement au prix des biens de consommation. Comme Karabarbounis et Neiman (2014) l’ont noté, c’est souvent attribué aux avancées dans les technologies d’information et à l’avènement de l’âge numérique. Thwaites prolonge les données de Karabarbounis et Neiman, non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Il montre que ce déclin des prix des biens d’investissement s’observe dans plusieurs pays et qu’il débute autour de 1980.

Une question clé est combien d’entreprises réagissent au fait que le capital soit devenu moins cher en substituant du capital au travail. Dans l’article de Karabarbounis et Neiman, elles réagissent avec une élasticité de substitution supérieure à un et les deux auteurs utilisent leur analyse pour expliquer un déclin de la part du revenu rémunérant le travail. Cependant, comme Thwaites le note, il y a plusieurs études qui suggèrent une élasticité de substitution inférieure à l’unité.

Pour voir les implications de tout ça, considérons un modèle à générations imbriquées très simple avec une consommation log et où les agents ne travaillent seulement que durant la première période. Cela implique que la proportion de revenu qui est épargnée est constante. Donc si une chute du prix des biens d’investissement entraîne (toutes choses égales par ailleurs) une chute de la valeur du capital nécessaire aux entreprises, alors les taux d’intérêt réels doivent diminuer pour égaliser l’offre et la demande d’épargne. (Vous avez besoin d’un cadre à générations imbriquées ici. Dans une modèle à agent représentatif, le taux d’intérêt réel est égal à la somme du taux de préférence temporelle et du taux de croissance.) C’est un résultat obtenu à l’état régulier et l’article en explore les dynamiques.

C’est l’idée clé. Selon moi, l’un des aspects les plus intéressants de l’article est qu’il intègre l’immobilier dans cette analyse. Si les taux d’intérêt réels chutent et si, pour un quelconque raison, l’offre de logements est fixe, alors les prix immobiliers vont diminuer). Cela entraîne une hausse de la dette brute des ménages, parce que les agents empruntent aux personnes âgées pour acheter des logements. Le modèle de Thwaites montre que cela aggrave la chute des taux d’intérêt réels, parce que c’est une destination alternative au capital pour l’épargne-retraite.

J’ai reconnu ces mécanismes, parce que j’ai été confronté au même effet lorsque j’ai étudié les variations de la dette publique à l’état stationnaire. Une réduction permanente du ratio de dette publique sur PIB dans un modèle à générations imbriquées libère de l’épargne pour le capital, en réduisant les taux d’intérêt réels (comme nous l’avons par exemple exploré dans cet article). Mais de faibles taux réels stimulent aussi la demande de logements, qui peuvent être une manière alternative d’épargner pour la retraite. Plus généralement, et sans qu’importe les causes de cet apparent déclin des taux d’intérêt réels, le marché immobilier (mais aussi ce que nous pensons être comme la "norme" sur ce marché) est susceptible d’en être profondément affecté. »

Simon Wren-Lewis, « Secular stagnation and computers », in Mainly Macro (blog), 2 décembre 2014. Traduit par Martin Anota



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