« Suite à la Déclaration budgétaire d’Automne (Autumn Statement) du gouvernement britannique, beaucoup ont noté les similarités entre les choix macroéconomiques auxquels les électeurs feront face l’année prochaine et ceux auxquels ils faisaient face en 2010. Jeremy Warner a même utilisé l’expression de “déjà vu”, que j’avais moi-même déjà utilisé dans un billet publié en août. Cependant ce qu’il néglige est de mentionner la grande différence entre 2010 et 2015 que j’avais mis en évidence dans ce billet, c’est-à-dire l’absence aujourd’hui de toute crise de financement pour la dette publique. Je comprends pourquoi Warner oublie de le mentionner. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, il a toujours été question de réduire la taille de l’Etat. Cependant, si on a réussi à vendre aux gens l'austérité en 2010, c’est parce qu’ils craignaient de "devenir comme les Grecs".

Cette idée que les marchés financiers guettent chaque mouvement à court terme du déficit budgétaire persiste dans les médias. C’est un mythe. C’est un peu comme le perroquet dans le célèbre sketch des Monty Python : il peut avoir vécu autrefois, mais désormais il est bel et bien mort, et il l’est depuis quelques temps déjà.

Vous n’avez pas besoin d’en savoir beaucoup des marchés financiers pour comprendre pourquoi. Le marché des titres publics du Royaume-Uni n’existe pas isolément ; il est connecté aux autres marchés d’un large éventail d’autres actifs financiers. Donc un petit changement dans l’offre de titres publics (en raison d’un changement dans le déficit budgétaire) va avoir un impact négligeable sur le taux d’intérêt nécessaire pour vendre cette dette (1). Le plus important déterminant des taux d’intérêt sur la dette britannique (qui constitue un actif financier de long terme), ce sont les anticipations à propos des taux d’intérêt à court terme courants et futurs au Royaume-Uni. C’est pourquoi les taux sur les obligations souveraines à 10 ans sont actuellement autour de 2 % au Royaume-Uni, mais à 1 % en France : les marchés pensent que la BCE va garder les taux de court terme à un plus faible niveau que ceux de la Banque d’Angleterre.

Cet arbitrage entre actifs financiers suppose que les marchés croient qu’ils vont retrouver leur argent. Dès lors que les marchés pensent que cela ne sera pas le cas, ils vont demander une "prime de défaut" : un taux d’intérêt plus élevé pour compenser le risque de défaut. Cette prime de défaut est notre perroquet : elle voleta jour après jour durant la crise de la zone euro entre 2010 et 2012. Mais si ce perroquet a fait irruption dans la zone euro durant cette période, c’est pour une raison bien précise. Le climat y a depuis changé, ce qui signifie qu’il n’est plus ce qu’il était alors, mais ses chances de vivre en-dehors de cette région furent toujours très faibles et sont aujourd’hui négligeables. Si quelqu’un cherche à vous en vendre un, il sera mort.

Si vous pensez acheter de la dette publique et si vous craignez un défaut, vous devez vous inquiéter de deux choses. Tout d’abord, vous devez vous demander si le gouvernement va choisir de faire défaut. Il pourrait le faire si les coûts politiques associés aux hausses d’impôts ou aux baisses des dépenses publiques excèdent les coûts associés à l’impossibilité d’emprunter à nouveau immédiatement suite à un éventuel défaut. Ensuite, vous devez craindre un défaut forcé, c’est-à-dire penser que le gouvernement se retrouvera incapable de refinancer sa dette existante, parce que le marché ne va plus lui prêter. Les deux risques sont liés, mais pas identiques. Le second admet la possibilité d’une crise autoréalisatrice : le défaut survient parce que le marché croit que le défaut survient, et ce même si le gouvernement n’a pas l’intention de faire faillite et peut continuer à payer des intérêts sur sa dette.

C’est là où avoir votre propre banque centrale s’avère très utile. Elle élimine en effet le second risque, parce qu’elle agit en tant que prêteur en dernier ressort, en achetant toute dette que le gouvernement se révélerait incapable de refinancer sur les marchés. C’est ce que la BCE s’est refusée de faire jusqu’à son programme OMT en septembre 2012. Jusqu’à cette date, les marchés ont craint que les gouvernements en Irlande, au Portugal et en Espagne n’étaient pas capables de refinancer leur dette et qu’ils seraient ainsi forcés de faire défaut. Avec le programme OMT, la BCE a changé d’avis, ce qui permit de mettre un terme à la crise. Le perroquet de la zone euro n’a peut-être pas complètement disparu, parce que le programme de la BCE reste conditionnel et parce que certains gouvernements peuvent toujours faire volontairement défaut, mais ce n’est plus le même oiseau.

Le perroquet n’a probablement jamais volé au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou au Japon, parce que ces pays ont leur propre banque centrale. Bien sûr, beaucoup affirment l’avoir vu, mais il semble avoir disparu aussi rapidement qu’il est venu. L’idée qu’il puisse aujourd’hui survivre au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis est juste stupide. En 2010, les déficits au Royaume-Uni et aux Etats-Unis étaient importants et la dette augmentait rapidement. Il était peut-être concevable (bien qu’avec beaucoup d’imagination) que les gouvernements du Royaume-Uni ou des Etats-Unis aient pu alors choisir de faire défaut. Aujourd’hui, les déficits sont proches d’un niveau soutenable, ce qui signifie que les ratios dette publique sur PIB sont relativement stables. Si quelqu’un vous dit qu’il a vu ce perroquet aujourd’hui ou bien qu’il est juste en train de se reposer avant de se réveiller si telle ou telle politique est mise en œuvre, je vous prie de donner la même réponse que John Cleese :

"Ce perroquet n’est plus. Il a cessé d’être. Il a expiré et est retourné auprès de son créateur. C’est un feu perroquet. C’est un défunt. Privé de sa vie, il repose en paix. Si vous ne l’aviez cloué à son perchoir, il mangerait les pissenlits par la racine. Il a baissé le rideau et a rejoint le chœur invisible. C’est un ex-perroquet !" »

(1) Il peut y avoir à la marge une certaine segmentation des marchés et c’est précisément celle-ci que les banques centrales ont cherché à exploiter à travers l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Cela implique cependant d’acheter de larges quantités de dette publique pour l’influencer et nous ne sommes toujours pas totalement sûrs qu’elles réussiraient à le faire. A côté de ça, quelques milliards de dollars de déficit cette année et la suivant ne sont qu’une goutte dans l’océan.

Simon Wren-Lewis, « Government debt, financial markets and dead parrots », in Mainly Macro (blog), 4 décembre 2014. Traduit par Martin Anota



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