« Selon moi, la réponse se trouve dans les années soixante-dix et quatre-vingt avec la révolution des nouveaux classiques. Cependant je pense aussi que les idées qui sont apparues avec cette révolution étaient progressives. J’ai défendu les anticipations rationnelles, je pense que la théorie intertemporelle est le bon point de départ pour parler de la consommation et qu’il est très important d’explorer les implications de l’incohérence temporelle pour façonner la politique macroéconomique, aussi bien que d’autres domaines de l’économie. Je pense aussi, avec presque tous les autres macroéconomistes, que l’approche de la macroéconomie par les microfondations (les modèles DSGE) est une stratégie de recherche progressive.

C’est pourquoi parler de ces enjeux peut être si confus. La nouvelle école classique poussa la macroéconomie universitaire à faire de grands pas en avant, mais aussi plusieurs pas en arrière. Le programme de recherche était anti-keynésien (donc proprement nouveau classique) et il ne voulait pas que la macroéconomie microfondée soit une simple alternative à la méthodologie qui était alors dominante, mais qu’elle la remplace tout simplement. Parce que cette révolution réussit (même si la victoire sur les idées keynésiennes n’était que temporaire), on a enseigné à plusieurs générations d’étudiants que l’économie keynésienne était obsolète. On ne leur a pas appris les mérites et inconvénients respectifs de la nouvelle méthodologie et de l’ancienne, mais que l’ancienne méthodologie était simplement erronée. Cet enseignement était problématique, parce qu’il était lui-même erroné.

Il y a toujours eu une opposition aux idées keynésiennes et elle était essentiellement (si ce n’est totalement) idéologique, notamment les tentatives de retirer les manuels keynésiens des universités américaines. Cependant la révolution des nouveaux classiques donna à ce que l’on peut appeler le "déni de demande agrégée" une respectabilité intellectuelle qu’elle n’a jamais méritée. Les données empiriques tendent à confirmer, d’une part, que les changements de la demande influencent la production et l’emploi à court terme et, d’autre part, les prix sont visqueux, donc dénier ces deux faits était apparemment impossible. On a pu toutefois dénier ces faits en embrassant une position méthodologique qui pouvait ignorer les preuves inconvenantes.

Je ne pense pas que ça aurait forcément dû se passer ainsi. La macroéconomie dominante ne nécessitait pas une révolution dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Les idées comme les anticipations rationnelles pouvaient être assimilées dans la méthodologie dominante et les modèles microfondés pouvaient être développés aux côtés de modèles économétriques plus éclectiques (les modèles économétriques structurels, et non les modèles VAR) ou des modèles théoriques agrégées que les Blanchard et Fischer ont qualifié adroitement de "modèles utiles". Les modèles microfondés pouvaient avoir présenté le genre d’erreurs qui pouvaient survenir dans des modèles plus empiriquement fondés quand la théorie est ignorée ou seulement partiellement appliquée, et ces modèles empiriques pouvaient mettre en lumière les zones clés où les microfondations étaient nécessaires.

Je pense que si les choses s’étaient passées ainsi, la macroéconomie aurait été mieux préparée lorsque la crise financière est arrivée. Prenons juste un exemple : le rôle des conditions de crédit dans la consommation. Elles sont pourtant clairement importantes pour comprendre comment la consommation peut répondre à un effondrement du crédit, pourtant tout mécanisme de ce genre était absent de la plupart des modèles DSGE en 2008. Pourtant un modèle de la consommation plus empiriquement fondé aurait eu à affronter un tel problème avant 2008, comme je l’affirme ici. Si ces types de modèles avaient continué à être développés à l’université, plutôt que d’être confinés à l’obscurité par la révolution des microfondations, alors au moins les responsables politiques aurait eu quelque chose sur lequel s’appuyer. S’il y avait eu une interaction entre les modèles empiriques et les modèles microfondés, beaucoup des analyses portant sur les frictions financières que nous avons vu fleurir depuis 2008 seraient apparues bien plus tôt.

Donc pourquoi cela ne s’est-il pas passé ainsi ? Pourquoi avons-nous connu une révolution qui balaya la méthodologie existante et bannit temporairement la théorie keynésienne, plutôt qu’une adaptation et un développement de ce qui était alors dominant ? Est-ce que la volonté de détruire l’orthodoxie était forte, comme elle l’est toujours aujourd’hui dans une minorité d’économistes hétérodoxes ? Est-ce qu’un impératif idéologique visant à faire disparaître les idées keynésiennes joua un rôle ? Est-ce que certains adeptes de l’économie alors dominante trouvent une certaine responsables du fait de leur réaction hostile à des idées comme celles des anticipations rationnelles ? Est-ce que l’attraction d’une méthodologie où vous pouvez être sûr d’être cohérent était trop séduisante, encouragée par la segmentation croissante entre la macro théorique et la macro empirique ? Je n’ai toujours pas de réponse à ces questions. »

Simon Wren-Lewis, « Where macroeconomics went wrong », in Mainly Macro (blog), 24 septembre 2014. Traduit par Martin Anota