Sachs et l’âge des moindres espérances

« Je parle habituellement peu de l’économie américaine, parce qu’il y a tellement d’autres qui écrivent des articles et billets sur le sujet et qui disposent de plus d’autorité que moi sur la question. Mais je suis de plus en plus énervé par certains suggère que les chiffres de la croissance américaine amènent à rejeter l’idée que l’austérité soit mauvaise lorsque les taux directeurs des banques centrales butent sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound). A ce titre, le nom de Jeffrey Sachs vient juste de rejoindre une longue liste.

Bien sûr, la manière correcte de s’attaquer à ce problème est de le faire comme le fait Paul Krugman. Comme il le rappelle, beaucoup de choses surviennent simultanément (comme par exemple la forte chute du taux d’épargne aux Etats-Unis en 2013), donc vous ne devez pas restreindre votre analyse à un seul pays, mais regarder beaucoup de données. Mais, ce faisant, vous risquez de suggérer que le cas américain est inhabituel et ne colle justement pas avec la théorie keynésienne. Par conséquent, j’ai réalisé un exercice simple et j’ai reporté ses résultats sur le graphique suivant. Ce dernier représente, d’une part, la trajectoire que le PIB américain a effectivement suivie et, d’autre part, l’hypothétique trajectoire qu’il aurait suivie si la consommation et l’investissement publics avaient connu une croissance réelle de 2% à partir de 2009. Donc nous imaginons qu’il n’y a pas eu d’austérité budgétaire et que les dépenses publiques se sont maintenues aux niveaux élevés qu’elles atteignaient lors de la récession. De plus, j’ai supposé un multiplieur large (et instantané) égal à deux pour ces dépenses publiques supplémentaires.

PIB des Etats-Unis (en milliers de milliards de dollars 2009) :

Simon_Wren-Lewis__PIB_Etats-unis__avec_et_sans_austerite__Martin_Anota_.png

(…) Comme vous pouvez le voir, la trajectoire du PIB sans austérité semble parfaitement plausible. Ce que nous obtenons est une croissance de 3,4 % en 2010 (contre une croissance effective de 2,5%), suivie par trois années de croissance de 3,7 % (contre 1,6%, 2,3% et 2,2%). En d’autres termes, nous obtenons une croissance raisonnablement rapide depuis une forte récession. Evidemment, il y a des manières plus sophistiquées de faire ce genre d’analyse contrefactuelle, mais peut-être que quelque chose de très simple suffit. Les récentes performances des Etats-Unis ne constituent donc pas un argument à l’encontre de l’analyse keynésienne.

Cela me suggère deux choses. Premièrement, beaucoup de gens sont tellement désespérés d’infirmer les critiques soulevées par l’usage de l’austérité à la borne inférieur zéro qu’ils sont capables d’avancer des arguments erronés à cette fin. C’est en particulier le cas de ceux qui ont affirmé en 2010 qu’il était nécessaire d’adopter des plans d’austérité (…). Deuxièmement, c’est attristant de lire ou d’entendre des gens suggérer qu’une croissance de 2,3 % peut être qualifiée de "rapide" lorsque nous sortons d’une profonde récession et que les taux d’intérêt nominaux sont restés collés à leur borne zéro. C’est tellement dangereux lorsque ces moindres espérances sont reprises par l’élite. »

Simon Wren-Lewis, « Sachs and the age of diminished expectations », in Mainly Macro (blog), 7 janvier 2015. Traduit par Martin Anota


La macroéconomie fondée sur la seule croyance

« Quand vous savez seulement que quelque chose est vrai, par exemple que la politique budgétaire n’a jamais un rôle réellement important et que le ciblage du PIB nominal aurait permis d’éviter la Grande Récession, vous cherchez à proclamer votre foi de la manière efficace possible. Vous vous lancez dans un concours oratoire. Le meilleur exemple d’une telle personne que j’ai en tête est Scott Sumner. Voici ce qu’il a trouvé à dire à propos par rapport à ce que j’ai récemment écrit :

"Simon Wren-Lewis utilise également mal les données de croissance du PIB, en l’occurrence d’une manière qui fait apparaître l’austérité comme plus dommageable qu’elle ne l’était. Il affirme que la croissance du PIB réel était de 2,3 % en 2012 et de 2,2 % en 2013 (l’année de l’austérité aux Etats-Unis). Mais ce sont des données annuelles année après année or, puisque l’austérité commença le premier janvier 2013, vous devez utiliser des données quatrième trimestre après quatrième trimestre. En fait, la croissance du PIB réel en 2012, quatrième trimestre après quatrième trimestre, fut de seulement 1,67 %, tandis que la croissance durant l’année d’austérité de 2013 a presque doublé en atteignant 3,13 %."

(…) Lorsque vous entendez dire que quelqu’un utilise mal les données (…), vous vous attendez à trouver qu’il ait commis une erreur sur Excel ou utilisé de vieilles données. Mais Sumner n’est pas en train d’utiliser le terme "mal" (…) dans son sens ordinaire. Il est en mode débat. Ce qu’il suggère en fait est que, en choisissant d’utiliser les données annuelles (correctes), je suis (accidentellement, délibérément ?) en train de dissimuler quelque chose important. Il cite ensuite deux chiffres qui appuient soi-disant ses propos. Pas d’analyse, pas de graphique – c’est un débat.

Voici un graphique qui représente les dépenses réelles de consommation et d’investissement brut du gouvernement américain et qui provient du site FRED. Selon Sumner, “l’austérité commença le 1er janvier 2013”. Mais que dit le graphique ?

Simon_Wren-Lewis__Etats-unis__investissement_public__consommation_publique__Martin_Anota_.png

(…) Voulez-vous vraiment suivre ceux dont la macroéconomie se nourrit tellement de la foi qu’ils ne ressentent même pas le besoin de vérifier les chiffres ? Voulez-vous suivre quelqu’un qui écrit (plus tôt dans son billet) qu’"il serait utile de réaliser une étude plus systématique de l’austérité budgétaire" ? Que doit-on faire de toutes les études qui ont déjà été faites (par exemple ici, ici ou) ? Ne comptent-elles pas parce qu’elles constatent généralement que la politique budgétaire a un rôle à jouer et qu’elles échouent ainsi à s’accorder avec la croyance ? Voulez-vous que la macroéconomie tienne de la croyance ou d’une analyse scientifique soignée ? »

Simon Wren-Lewis, « Faith based macroeconomics », in Mainly Macro (blog), 10 janvier 2015. Traduit par Martin Anota