« Beaucoup de ce que l’on dit actuellement sur la déflation semble manquer un point essentiel. La déflation signale que des ressources sont gâchées. Plus l’inflation est faible, toutes choses égales par ailleurs, plus il y a de ressources gâchées. Les ressources gâchées, c’est probablement ce dont parle un peu l’économie. Cela signifie que la société dans son ensemble (…) se porte plus mal sans raison. Il y a de solides raisons nous amenant à penser que les sommes en jeu sont très importantes, beaucoup plus effrayantes que les chiffres que les médias présentent habituellement. (1)

Une fois que vous regardez les choses ainsi, de nombreux débats deviennent plus clairs. Premièrement, et c’est la chose la plus évidente, il n’y a rien de magique à propos du chiffre zéro. Toutes choses égales par ailleurs, une inflation nulle suggère que plus de ressources sont gâchées que si l’inflation était de 1 %, mais il y a toujours des ressources gâchées lorsque l’inflation est à 1 % alors même que la cible est de 2 %.

Les économistes ont craint des effets de second tour que la déflation est susceptible d’avoir. En particulier, parce que la déflation signifie que la valeur réelle des dettes fixées en termes nominaux s’accroît, cela peut pousser les débiteurs à réduire leurs dépenses, sans pour autant que les créditeurs soient incités à accroître les leurs. Cela va aggraver le gâchis de ressources. Cependant cet effet n’est pas un effet non linéaire qui apparaît lorsque l’inflation atteint zéro. Si cet effet est important, les débiteurs vont toujours être plus contraints par leur dette si l’inflation est de 1 % que si elle est de 2 %. Et, bien sûr, même si cet effet n’est pas important, des ressources sont tout de même gâchées si l’inflation est sous sa cible.

C’est aussi pourquoi il est important de garder un œil sur l’inflation sous-jacente. Si l’inflation est sous la cible en raison de la seule faiblesse des prix du pétrole et si celle-ci s’explique par un accroissement de l’offre (2), alors il n’y a aucune raison de penser que les ressources sont gâchées. De la même manière que les banques centrales ciblant l’inflation doivent voir au-delà de l’inflation provoquée par une hausse des prix du pétrole, elles doivent aussi voir au-delà de la désinflation lorsque celle-ci est provoquée par une baisse des prix du pétrole. Cependant, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en zone euro, l’inflation sous-jacente est significativement sous la cible, ce qui suggère que des ressources sont gâchées partout.

La chose réellement intéressante à propos de la situation actuelle, c’est que les salaires nominaux ne semblent croître rapidement dans aucune de ces trois économies. C’est peut-être le cas parce qu’il y a beaucoup de capacités inutilisées dans l’économie domestique, mais aussi parce que les travailleurs ont conscience que les employeurs potentiels peuvent utiliser la main-d’œuvre étrangère comme alternative. Dans les deux cas, la relativement bonne nouvelle, c’est que nous pouvons alors laisser l’économie à croître à un rythme supérieur à la moyenne pendant quelques temps. (Cela suggère aussi que les projections budgétaires actuelles pourraient être trop pessimistes.)

Ce ne sont des bonnes nouvelles que si nous prenons l’opportunité qu’elles présentent. Nous ne pouvons le faire qu’en utilisant les outils monétaire et budgétaire dont nous disposons (et en inventer de nouveaux si nécessaire). Il n’y a aucune magie à accroître la demande ; pour le faire, nous avons à notre disposition plusieurs moyens que nous avons déjà essayés et testés. La première barrière pour accroître la demande a été et sera toujours l’inflation, donc quand cette barrière est nulle part en vue (en fait, elle semble s’écarter encore plus), c’est un gâchis criminel de ne pas accroître la demande.

Mais que penser des personnes qui préconisent la prudence ? Devrions-nous augmenter les taux d’intérêt maintenant, afin d’éviter des hausses trop rapides plus tard ? Je suis sûr que certaines personnes qui le préconisent sont convaincues d’avoir raison, mais elles se trompent bel et bien parce qu’elles ne prennent pas pleinement en compte ce qu’implique vraiment notre situation et les risques qui lui sont associés. Mais je ne peux aussi m’empêcher de noter que certains à droite appellent à relever les taux d’intérêt depuis longtemps et qu’ils refusent d’admettre qu’ils ont eu tort. Ils confirment l’idée de Kalecki selon laquelle ce que nous appelons le "plein emploi" est peut-être bon par la société, mais ne l’est peut-être pas pour certaines franges de la société. (…)

(1) Ceci serait plus clair si toutes les banques centrales avaient un double mandat.

(2) Ce qui n’est probablement pas vrai dans la situation actuelle (…). »

Simon Wren-Lewis, « Why below target inflation is a big problem », in Mainly Macro (blog), 15 janvier 2015. Traduit par Martin Anota



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