« Avant la Grande Récession, le principal outil qu’utilisait la Réserve fédérale pour conduire sa politique monétaire était le taux d’intérêt des fonds fédéraux. Comme l’économie bascula en récession, la Fed commença à réduire son taux d’intérêt en août 2007 et, en décembre 2008, celui-ci était déjà presque à 0 %, un niveau où il est resté depuis. Comme le graphique ci-dessous le montre, la Fed a réduit les taux d’intérêt durant les périodes de récession (les surfaces ombrées), mais la Grande Récession fut le seul épisode au cours de cette période de temps où la contraction économique fut si sévère que le taux directeur resta à zéro.

GRAPHIQUE Taux d'intérêt des fonds fédéraux (en %)

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Mais la Grande Récession s’acheva en juin 2009. La reprise, qui a été particulièrement lente, a est à l’œuvre depuis plus de cinq ans. Comme l’année 2015 vient de commencer, on se demande naturellement quand la Fed va augmenter ses taux d’intérêt. Eric Rosengren de la Réserve fédérale de Boston offre quelques idées pour comprendre comment la Fed aborde la question en comparant les conditions économiques actuelles avec celles prévalant lors des précédentes fois où la Fed a relevé le taux d’intérêt des fonds fédéraux d’une manière substantielle, en l’occurrence en février 1994 et en juin 2004.

Premièrement, en novembre 2014, le taux de chômage était de 5,8%. En juin 2004, la Fed resserra sa politique monétaire lorsque le taux de chômage était de 5,6 %. En février 1994, la Fed resserra sa politique monétaire lorsque le taux de chômage était de 6,6 %. Notons que dans les deux cas, la Fed a relevé les taux d’intérêt à un moment où le taux de chômage était toujours en train de diminuer, mais elle n’a pas attendu que le taux de chômage se stabilise. L’argument sous-jacent ici est qu’il faut accroître les taux d’intérêt lorsque l’économie est suffisamment robuste.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage aux Etats-Unis (en %)

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Que dire de l’inflation ? La mesure de l’inflation utilisée ici est basée sur l’indice des dépenses de consommation personnelles, que la Fed utilise à la place du fameux indice des prix à la consommation. Les deux précédents resserrements furent mis en œuvre quand le taux d’inflation était d’environ 2 %, peut-être juste un peu plus élevé. Le taux d’inflation est actuellement plus proche de 1,5 %. Le manque de pressions inflationnistes signifie que la Fed a peu de raisons d’élever immédiatement les taux d’intérêt.

GRAPHIQUE 3 Taux d'inflation aux Etats-Unis (en %)

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Que dire de la croissance économique ? La récession de 1990-91 s’arrêta en mars 1991, donc le resserrement commença un peu moins de trois ans après, lorsque la croissance avait rebondi lors d’un trimestre à un taux de 4 % et s’est maintenu à des taux supérieurs à 2 % par an. La récession de 2000-2001 a fini en novembre 2011 et le resserrement fut mis en œuvre moins de trois ans après, encore une fois après que la croissance ait rebondi jusqu’à 4 % et ce au moins un ou deux trimestres. Suite à la Grande Récession, la croissance n’a pas rebondi aussi rapidement. Cependant, les plus récentes données suggèrent que l’économie a connu une croissance de 4 %, voire supérieure à 4 %, au cours des deuxième et troisième trimestres 2014.

GRAPHIQUE 4 Taux de croissance du PIB réel aux Etats-Unis (en %)

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Rosengren a présenté ces diapos à la conférence Allied Social Sciences à Boston le 3 janvier. Les participants n’ont pas cherché à trouver un consensus sur le sujet, mais (…) beaucoup d’entre eux s’attendent à ce que la Fed relève ses taux d’intérêt plus tard au cours de l’année 2015, mais plutôt en fin qu’en début d’année.

Pourquoi attendre ? L’une des raisons est qu’il n’est pas certain que les chiffres préliminaires suggérant une croissance plus rapide du PIB au cours des deuxième et troisième trimestres 2014 ne soient pas prochainement révisés à la baisse. Plus largement, étant donné la lenteur de la reprise jusqu’à présent et vu la faiblesse des taux d’inflation, il semble qu’il y ait davantage de raisons nous amenant à craindre une hausse prématurée des taux plutôt que de craindre d’attendre encore quelques mois.

Cependant, on entend parfois certains dire que la Fed doit faire attention lorsqu’elle élèvera ses taux d’intérêt, parce qu’un tel resserrement peut déstabiliser le marché boursier. Il n’y a pas eu de krach boursier lors des deux dernières fois que la Fed a relevé ses taux d’intérêt. Rappelons que la Fed cherche à accroître les taux d’intérêt à un moment où l’économie a une solide force d’impulsion. Rappelons aussi que les gens qui investissent dans les actions le font en cherchant à anticiper ce qui se passera plus tard et que les investisseurs sont conscients depuis quelques temps déjà que la Fed va probablement relever ses taux d’intérêt en 2015. Les hausses du taux des fonds fédéraux de février 1994 et de juin 2004 laissèrent le marché boursier avec davantage de marge pour croître et cela peut encore être le cas cette fois-ci.

GRAPHIQUE 5 Indice boursier aux Etats-Unis

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D’un autre côté, il fait sens que la politique monétaire américaine se soit comportée comme elle l’a fait jusqu’à présente et qu’il soit presque le temps de faire demi-tour. Par exemple, quand les fonds fédéraux ont atteint leur borne zéro fin 2008, la Fed a commencé à utiliser une politique d’"assouplissement quantitatif" (quantitative easing) consistant à acheter des bons du Trésor et des titres adossés sur crédit hypothécaire pour maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau. La question de l’accumulation d’actifs ne s’est pas posée durant les deux précédents resserrements de sa politique monétaire. Mais en octobre, la Fed a annoncé qu’elle mettrait un terme à ses programmes d’achats d’actifs. Elle ne semble pas être avoir pour projet de vendre ces titres, mais juste de les détenir jusqu’à leur maturité, ce qui va graduellement réduire le volume des actifs de la Fed au cours du temps.

GRAPHIQUE 6 Actifs de la Fed (en milliers de milliards de dollars)

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Il y a aussi des craintes que le maintien des taux d’intérêt à un niveau extrêmement faible ne génère de l’instabilité dans les marchés financiers, comme les investisseurs recherchent des rendements plus lucratifs. (…) Les plus faibles taux d’intérêt créent aussi des gagnants et perdants : ils aident évidemment les emprunteurs, comme le gouvernement fédéral, les entreprises qui empruntent et le marché immobilier, mais ils nuisent à ceux qui s’attendaient à recevoir de plus hauts intérêts, notamment les fonds de pension, les entreprises d’assurance et les retraités.

Dans le tumulte de la Grande Récession, la Fed a eu raison de mettre tout en œuvre, de ramener le taux d’intérêt des fonds fédéraux au plus proche de zéro, d’assurer que le crédit soit disponible sur les marchés financiers et d’utiliser l’assouplissement quantitatif. La Fed a fermé ses dispositifs pour le prêt d’urgence en 2011. Elle a commencé un lent processus d’inversion de l’assouplissement quantitatif en octobre 2014. Le relèvement du taux d’intérêt des fonds fédéraux va probablement suivre en 2015. »

Timothy Taylor, « When will the Federal Reserve raise interest rates? », in Conversable Economist (blog), 5 janvier 2015. Traduit par Martin Anota