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« Syriza veut réduire le fardeau de la dette publique grecque par divers moyens, qui bénéficieraient clairement à la Grèce, mais qui se traduiraient par des pertes pour ses créanciers. Le rapport de force est en sa faveur, car le gouvernement génère un excédent primaire. Ceci signifie que si toute la dette était effacée et si le gouvernement grec était incapable d’emprunter à nouveau, la situation serait meilleure parce que les recettes publiques seraient supérieures aux dépenses publiques. A l’inverse, les créanciers ont un faible pouvoir de négociation dans une telle situation, ce qui explique pourquoi il y a une forme ou une autre de négociations pour réduire le fardeau de la dette publique. Les créanciers prennent une gifle, mais pas aussi forte que la gifle qu’ils auraient reçu si toute la dette publique était effacée.

Les créanciers pourraient avoir une carte supplémentaire dans le cas particulier de la Grèce : ils pourraient exclure la Grèce de la zone euro. Soyons clairs, c’est une menace proférée par les créanciers. Syriza n’a pas l’intention d’abandonner l’euro, même si la Grèce faisait défaut sur sa dette, donc elle devrait être forcée de le faire. Je n’ai jamais vu nulle part expliqué comment le reste de la zone euro pourrait forcer la Grèce à abandonner l’euro sans compromettre l’indépendance de la BCE, mais supposons qu’il ait le pouvoir de le faire. La zone euro exécuterait-elle cette menace ?

Exclure la Grèce de la zone euro parce qu’elle veut renégocier ses dettes serait une chose stupide à faire. Pour commencer, les créanciers perdraient tout, parce qu’évidemment la Grèce opterait dans ces circonstances pour le défaut complet. En outre, les individus et les marchés craindraient immédiatement que les autres pays périphériques connaissent le même destin. (L’histoire que Dani Rodrik raconte est tout aussi plausible.) Quel serait le gain ?

La réponse standard est que en exerçant cette menace vous empêchez d’autres pays périphériques d’essayer de suivre l’exemple de la Grèce. Risque moral – les péchés qui ont été commis en votre nom ! En réalité, le taux d’intérêt sur la dette grecque a déjà été réduit au cours des précédentes négociations (…). Il n’y a rien qui contraigne les pays du cœur à traiter chaque pays périphérique de la même façon, comme l’a appris l’Irlande à ses dépens. Peter Spiegel le dit clairement dans le Financial Times :

"A quel point l’idée de monsieur Tsipras d’une restructuration de dette de style Club de Paris est-elle radicale ? Elle est si radicale que, selon trois personnes impliquées dans les discussions, les autorités en zone euro ont activement considéré un tel projet à la fin de l’année 2012. L’initiative menée par les Français aurait amené à couper en tranches les obligations de la dette grecque (…) après avoir honoré une série d’engagements de réformes économiques."

Donc, même si certains en Allemagne étaient assez stupides et cruels pour suggérer de mettre la Grèce dehors, il semble inconcevable que le reste de la zone euro (ou le FMI) permette cela. En réalité, réduire le fardeau de dette en Grèce (et probablement dans d’autres pays (1)) ferait beaucoup de bien à la zone euro. La Grèce serait capable de relâcher l’inconfortable austérité qui est à l’origine de nombreux désastres économiques et sociaux. Les pays du cœur de la zone euro et le FMI peuvent au moins partiellement défaire les erreurs qu’ils commirent entre 2010 et 2012, en retardant le défaut et ensuite en échouant à imposer un défaut complet, des erreurs que l’équipe du FMI a au moins reconnues (2). On peut chercher à faire comprendre aux contribuables allemands que le problème depuis 2010 n’a pas été l’intransigeance grecque, mais bien les actions de leurs propres gouvernements qui ont cherché à protéger leurs propres banques et qui ont imposé une dose irréaliste d’austérité. Philippe Legrain explique tout cela en détails ici. Comme l’écrit Thomas Piketty, Syriza “veut construire une Europe démocratique, ce qui est précisément ce dont nous avons besoin”.



Suite à un billet comme celui-ci j’ai toujours des commentaires qui me disent à propos tout les terribles choses qui toujours continuent en Grèce. J’ai deux remarques supplémentaires. Premièrement, si les choses n’ont pas changé suite aux années d’austérité en Grèce, est-ce que cela ne signifie pas que nous ayons besoin d’autre chose qu’une nouvelle dose d’austérité ? Est-ce que cela ne signifie pas que nous devons avoir un gouvernement qui puise ses membres hors des élites gouvernantes traditionnelles ? (3) Deuxièmement, une mesure largement reconnue de l’orientation budgétaire est le solde primaire (le déficit moins les intérêts sur la dette) ajusté à la conjoncture. Voici les dernières estimations de l’OCDE pour 2014. Ne vous plaignez pas que la Grèce récidive sur la question de l’austérité ! (…)

(1) Barry Eichengreen et Ugo Panizza doutent que les excédents primaires que certains pays doivent générer sans un effacement supplémentaire de dette soient politiquement soutenables. Je suis un peu plus optimiste, mais il est vrai qu’une certaine renégociation sur la dette serait bénéfique à plus long terme.

(3) Dans ma version initiale, je parlais juste du « FMI », mais comme Peter Doyle me l’a rappelé, cette critique émise par une équipe du FMI n’est pas reprise par les dirigeants du FMI.

(2) Nous verrions en plus un bloggeur bien connu devenir politicien ! »

Simon Wren-Lewis, « Let us hope for a Syriza victory », in Mainly Macro (blog), 14 janvier 2015. Traduit par Martin Anota



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