« Maintenant que le parti Syriza a gagné les élections grecques, je poursuis ce que j’avais commencé dans mon précédent billet. Ce qui va bientôt se passer ne sera pas facile. Et ce n’est pas parce que les politiques proposées par Syriza sont radicales et irraisonnables ; en fait, elles ne sont pas pires que ce qui a été fait en Grèce depuis que la crise a commencé. (…) C’est un signal d’alarme pour la zone euro (et peut-être pour l’Union européenne). Ce signal d’alarme rappelle que, sans consensus sur ce que sont les finalités et mécanismes d’une union monétaire, cette dernière ne peut qu’échouer. La réalité est que jusqu’à présent l’Union économique et monétaire (UEM) a été construite d’une manière asymétrique : la BCE fut conçue comme une banque centrale forte anti-inflation avec la Bundesbank en tête et cela servait un objectif (pour tout le monde, notamment la Grèce). Les critères à respecter pour entrer dans l’UEM (faible inflation, faibles déficits budgétaires) furent un prétexte pour les responsables politiques de certains pays pour mener des politiques qu’ils n’auraient pas pu mener autrement. Il n’y a pas de doute de qui fut en charge et quelle idéologie prévalait quand il s’agissait de définir les politiques. Et ce modèle fonctionna bien en temps de croissance économique quand tout le monde, notamment la Grèce, jouissait des bénéfices de stabilité et de croissance.

Mais la crise a amené chacun à réaliser que le modèle ne fut pas parfait, qu’il n’y a pas de consensus autour de la politique économique et, plus fondamentalement, que la politique monétaire ne peut fonctionner proprement que s’il y a un certain partage des risques, quelque chose dont personne n’a voulu discuter jusqu’à présent.

Et les élections en Grèce dimanche ont mis en évidence qu’il n’y a plus consensus, que le modèle qui fonctionna bien jusqu’à 2008 est rejeté par plusieurs pays-membres et que, sans un minimum de consensus, l’UEM ne peut fonctionner. Le problème n’est pas que les politiques anti-austérité puissent s’arrêter dans certains pays. C’est susceptible de bénéficier à tout le monde à court terme, notamment l’Allemagne. Le problème n’est pas que nous devons restructurer la dette grecque à nouveau : c’est faisable d’un point de vue économique et politique. Les véritables questions qui se posent est comment aller de l’avant, quelle sera la manière par laquelle la Commission Européenne va réagir aux prochains plans budgétaires des Etats-membres de la zone euro, comment la BCE va s’occuper de la dette souveraine à l’avenir ou encore comment les marchés vont évaluer le risque de défaut.

De la perspective de l’Allemagne (et des autres pays qui partagent la même vision et situation économique), tout accord avec la Grèce qui signalerait au marché que ce serait dorénavant la solution appliquée pour toute crise future serait un désastre. L’Allemagne nécessite un fort engagement de la part de la Grèce et des autres pays-membres que ce sera la dernière fois que cela se passera ainsi. Mais cela risque de ne pas se passer ainsi. Il peut y avoir des promesses, mais je ne peux imaginer comment rendre ces promesses crédibles.

Donc soit l’Allemagne abandonne et encourt le risque d’avoir des négociations similaires plus tard dans l’année avec l’Irlande, le Portugal, Chypre, l’Espagne et l’Italie. Et elle accepte le fait que nous sommes au début d’un nouveau cycle d’accumulation de dette publique jusqu’à la prochaine crise. Ou elle jette l’éponge. Et je pense que cela peut survenir de deux manières différentes. Soit elle refuse d’être flexible dans les négociations avec la Grèce et la BCE tient sa promesse que la liquidité va s’arrêter à moins qu’il y ait un accord, ce qui va pousser les Grecs hors de la zone euro. Soit l’Allemagne décide d’abandonner l’euro et de laisser les autres pays-membres gérer les choses. Ces deux scénarii sont susceptibles de provoquer une crise. Le premier sera plus facile à contenir en supposant que les autres pays-membres soutiennent l’Allemagne. Le second serait un désastre économique majeur pour l’Europe et pour le monde.

Non. Les politiques de Syriza ne sont pas aussi radicales, folles ou absurdes qu’on le dit, mais les négociations qui sont en train de débuter impliquent des parties qui sont effrayés par ce qui s’est passé jusqu’à présent ou qui ne veulent pas appartenir à un club que ne peut s’engager à ne pas faire ça à nouveau. Je ne vois toujours pas comment ils pourraient s’accorder sur un modèle pour aller de l’avant. »

Antonio Fatás, « Grexit: it is not the debt, it is the future », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 25 janvier 2015. Traduit par Martin Anota