« Un nouveau billet sur la Grèce, et probablement pas le dernier.

Les marchés s’inquiètent de ce qui est en train de se passer et l’on parle de plus en plus d’une sortie de la Grèce (grexit) de la zone euro. Comme je l’ai affirmé dans mes précédents billets, le gouvernement grec ne désire pas sortir de la zone euro, mais cela pourrait être la seule option qu’il pourrait avoir si la BCE refuse de fournir de la liquidité aux banques grecques (…).

Commençons par rappeler (comme je l’ai fait à maintes reprises dans mes billets) que je considère que les politiques économies poursuivies en Europe ont été un désastre, des pays comme la Grèce n’auraient pas dû autant souffrir qu’ils ont eu à la faire. Et je suis convaincu que dans plusieurs de ces pays, l’austérité a entraîné une hausse des ratios dette publique sur PIB et non leur baisse. C’est un réel désastre.

Mais ce n’est pas à propos de ça que porteront les négociations. La vérité, c’est que la crise nous a amené à revoir la manière par laquelle nous concevons le partage d’une devise unique, l’expérience même de l’union économique et monétaire (UEM). Par le passé, nous parlions de zones monétaires optimales, de la synchronicité des cycles d’affaires et de l’absence de mécanisme de transferts budgétaires ; nous réalisons maintenant que le vrai problème est comment gérer une crise qui accule les gouvernements au défaut tout en provoquant des paniques bancaires dans les pays-membres (chose que beaucoup pensaient impossible). Le rôle que la BCE joue dans ces circonstances n’est pas le rôle que joue typiquement une banque centrale et on ne peut ignorer les aspects politiques associés aux choix difficiles auxquels elle fait face.

Même s’il est vrai que Syriza a été choisi par les électeurs grecs et qu’il s’agit ainsi d’une victoire de la démocratie, il y a aussi des électeurs dans d’autres pays qui aimeraient enfin se faire entendre par leur gouvernement.

Et voici la question que je pense fondamentale : si les électeurs avaient le choix aujourd’hui, choisiraient-ils d’avoir la monnaie unique au vu des pays-membres actuels ? Que feraient-ils s’ils pouvaient décider de l’adhésion de certains pays ? Il n’y a pas de doute que dans certains pays les électeurs aimeraient une configuration différente de la zone euro. Pas de doute que l’Allemagne serait plus heureuse s’il y avait moins de pays-membres, en particulier s’il n’y avait pas les "fauteurs de trouble".

Et cette décision ne sera pas juste fondée sur des arguments économiques, elle dépendra aussi en partie des émotions générées par la crise, mais aussi des premières déclarations du gouvernement formé par Syriza (en l’occurrence, proposer de reconsidérer les sanctions imposées à la Russie n’aide pas vraiment). Donc si la configuration actuelle ne marche plus, que faire ? Il n’y a pas de processus explicite pour la changer. Les pays peuvent décider d’abandonner l’euro s’ils n’aiment pas ce qu’il s’y passe. Mais certains considéreront les négociations actuelles avec la Grèce comme une opportunité pour changer la liste des membres de la zone euro.

Si l’on peut éviter (le gros de) la contagion, l’Allemagne et Bruxelles détiennent tout le pouvoir dans ces négociations. (…) Mais peut-on éviter la contagion ? La réponse à cette question était clairement négative il y a trois ans. Et c’est pourquoi ce ne fut pas une option. Aujourd’hui je n’en suis pas aussi sûr. Il y a trois ans, l’Espagne ou l’Irlande ou l’Italie faisaient face à des conditions économiques très difficiles qui semblaient similaires à celles de la Grèce. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La croissance est très lente, mais les déficits sont sous contrôle, les ratios dette publique sur PIB diminuent dans certains pays et les taux d’intérêt sont faibles et ils ne réagissent pas beaucoup aux résultats des élections grecques.

Aujourd'hui, la contagion peut davantage provenir du côté politique. Si les électeurs dans les autres pays décident d’élire des partis similaires à Syriza, nous connaîtrons le même scénario dans quelques mois en Espagne ou en Italie. Mais les électeurs vont-ils le faire s’ils voient que la sortie de l’euro est une possibilité ? Rappelons que ces partis politiques ne veulent pas quitter l’euro. Même s’ils sont critiques quant aux politiques européennes, la plupart des citoyens ne veulent pas quitter l’euro. Je pense qu’une sortie de la Grèce de la zone euro influencerait les événements politiques se déroulant dans les autres pays européens (…). Et cela va limiter la possibilité d’une "contagion politique".

Nous vivons une période intéressante. Je reviendrai sur le sujet. »

Antonio Fatás, « Greece, EMU and democracy », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), janvier 2015. Traduit par Martin Anota