« Comme Kose, Loungani et Terrones, économistes du FMI, l’ont écrit, "les trajectoires courantes et prévues des dépenses publiques dans les pays avancées sont assez différentes que celles observées durant les précédentes reprises. Durant les précédentes reprises, la politique budgétaire fut expansionniste, avec une hausse des dépenses primaires réelles du gouvernement. Cette fois-ci est différente".

Pour illustrer cela, j’ai fait quelques calculs (…) simples. Supposons que les dépenses réelles en consommation et investissement publics (G) aient augmenté de 2 % par an à partir de 2010 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro. Cela semblerait assez proche d’une trajectoire neutre pour les dépenses publiques. (La croissance de G aux Etats-Unis, qui inclut les dépenses au niveau de chaque Etat, fut un peu au-dessus de la tendance en 2008 et en 2009 en atteignant environ 3 %, alors qu'elle atteignait en moyenne 2,3 % au cours de la précédente décennie.

Si G avait suivi cette trajectoire tendancielle, le niveau de G en 2013 aurait été d’environ 15% plus élevé aux Etats-Unis, d'un peu moins de 15 % au Royaume-Uni et d’environ 10 % plus élevé en zone euro. Cela indique l’ampleur d’austérité que l’on a pu observer à partir de 2010. La question devient alors quel multiplicateur budgétaire appliquer à ce nombre. J’ai utilisé un multiplicateur de 1,5, ce que je pense raisonnable pour trois raisons. Premièrement, quand les taux d’intérêt nominaux sont à leur borne inférieure zéro, il y a de bonnes raisons de s’attendre à ce que les multiplicateurs soient larges. Deuxièmement, dans plusieurs pays, la consolidation budgétaire inclut de larges réductions dans les dépenses d’investissement public, ce qui peut avoir eu des effets négatifs additionnels du côté de l’offre. Troisièmement, le fait que G soit plus élevé dans les trois économies dans cette expérimentation aurait réduit l’ampleur des fuites via l’importation. (...)

Avec ce multiplicateur, un accroissement de G en 2013 aurait permis d’accroître le niveau du PIB de plus de 4 % aux Etats-Unis, de plus de 4,5 % %au Royaume-Uni et de près de 4 % en zone euro. (…) La croissance américaine se serait élevée en moyenne de 3,2 % au cours de ces quatre années, plutôt que 2,2 %. Nous aurions probablement qualifié la reprise de robuste et non d’anémique. »

Simon Wren-Lewis, « We already have a simple and conventional story to explain the weak recovery », in voxEU.org, 30 janvier 2015. Traduit par Martin Anota



« Donnez à n’importe quel étudiant qui a fait une année d’économie quelques données de comptabilité nationale relatives aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la zone euro et demandez-lui pourquoi la reprise suite à la Grande Récession a été si lente et il va certainement vous répondre que c’est à cause de l’austérité budgétaire. Et il aurait raison, comme je l’ai affirmé dans une récente contribution à voxEU. J’y présente quelques calculs simples, mais ils sont confirmés par les simulations de modèle : pas seulement ceux que j’ai cité dans le texte, mais également d’autres pour lesquels je n’avais pas la place de mentionner.

Lorsque j’ai écrit cet article, j’avais encore quelques doutes. Pas des doutes à propos de l’analyse, mais des doutes à l’idée que cela soit si évident. J’utilise des modèles basique (des modèles DSGE ou plus éclectiques) que nous enseignons aux étudiants du premier et du deuxième cycles universitaires. C'est étayé par la majorité des études empiriques. Pour moi, ce que j’ai écrit est aussi évident que de dire qu’une hausse de la demande pour les pommes va entraîner une hausse de leur prix.

Les raisons pour lesquelles j’ai laissé ces doutes de côté sont aussi familières. Le fait est qu’au moins la moitié des responsables politiques et de la médiamacro continue d’ignorer l’évidence même. Le fait que trop d’économistes cherchent encore à regarder ailleurs pour trouver d’autres raisons susceptibles d’expliquer ce malaise (ou pour prétendre qu’il n’y a pas de malaise), parce qu’ils pensent que l’idée selon laquelle la politique budgétaire peut influencer la demande est surannée ou qu’elle n’est qu’un délire de gauche ou autre chose encore. (…)

Même s’il y a beaucoup trop d’économistes universitaires qui dénient le fait que la politique budgétaire est largement responsable de la faiblesse de la reprise suite à la Grande Récession, je pense aussi que la majorité des économistes savent que c’est vrai. C’est pourquoi j’ai écrit un billet à propos des leçons à en tirer pour l’avenir. Bien que nous enseignions aux étudiants tout ce qui concerne l’incohérence temporelle et que nous leur parlions en même temps des avantages que peut apporter l’indépendance des banques centrales, je pense que nous savons aussi que les arguments en faveur de l’indépendance des banques centrales indépendantes vont au-delà de la seule question de l’engagement.

L’économie risque toujours d’être corrompue par la politique et par l‘idéologie ; en l’occurrence, la macroéconomie y semble particulièrement vulnérable. (Je ne suis pas encore parvenu à conclure si et pourquoi la macroéconomie est spéciale à cet égard. Par moments, des choses qui relèvent en fait de la microéconomie, comme la régulation financière ou la réaction de l’offre de travail aux changements de la fiscalité, sont considérées comme relevant de la macroéconomie parce qu’elles sont controversés ou ont des répercussions macroéconomiques.) Certains considèrent que cette corruption est inévitable et que nous devons l’embrasser, plutôt que d’essayer de l’éviter en déléguant à des institutions comme les banques centrales indépendantes. Je ne suis pas d’accord avec eux : la gestion de la demande est fondamentalement une question technique avec des implications politiques. Si nous n’avions pas de banques centrales indépendantes aujourd’hui, je pense que nous aurions vu le congrès américain appeler à une hausse des taux directeurs. Et bien sûr, il y aurait quelques économistes s’appuyant sur leurs modèles pour dire que c’est une bonne idée, même si la vaste majorité des économistes pense le contraire.

Certains ont réagi à mon précédent billet, que ce soit dans ses commentaires ou ailleurs, en affirmant que l’austérité budgétaire à l’origine de la faiblesse de la reprise n’est pas seulement due (…) à une mauvaise lecture de la crise de la zone euro, mais qu’elle résulte d’un problème d’économie politique plus fondamental. Par conséquent, nous devons reconsidérer la manière par laquelle la politique de stabilisation est menée à la borne inférieure zéro. Bien sûr, nous devons aussi nous demander si nous devons essayer de réduire à l’avenir la fréquence de ces épisodes de borne inférieure zéro, soit en élevant la cible d’inflation, soit en reformulant la manière par laquelle la politique monétaire est menée, soit encore par d’autres moyens. Cependant l’économie fera toujours face au risque de larges chocs de demande négatifs, donc il serait prudent de poursuivre la délégation de la politique de stabilisation macroéconomique que nous avons commencée en rendant la fixation du taux d’intérêt indépendante du contrôle politique. Achever cette délégation serait aussi une bonne opportunité pour (…) faire en sorte que l’indépendance soit compatible avec la responsabilité (accountability) et un certain degré de vision démocratique. »

Simon Wren-Lewis, « Saying the obvious », in Mainly Macro (blog), 1er février 2015. Traduit par Martin Anota