« Pour une quelconque raison (la résistance aux réductions des salaires nominaux étant la plus évidente), l’inflation cesse d’être un bon indicateur du degré d’utilisation des ressources lorsque l’inflation atteint de faibles niveaux suite à un choc de demande négatif majeure. Les responsables politiques continuent de faire cette erreur aujourd’hui : l’inflation sous-jacente n’est pas très loin de la cible et la croissance est assez saine, donc il n’y a pas de problèmes à ne rien faire (ou, en zone euro, il n’y a pas de problèmes à atteindre une éternité avant de faire quelque chose). Cependant il semble que le PIB continue d’être encore à quelques points de pourcentage de la trajectoire qu’il pourrait suivre sans accélération de l’inflation au-delà de sa cible, donc nous continuons de gâcher des ressources à une large échelle. C’est de l’argent que l’on perd à jamais. C’est comme prélever plusieurs milliers d’euros à chaque ménage chaque année et brûler cet argent.

Une manière de le voir est de retourner à la rationalisation sous-jacente au ciblage flexible d’inflation. C’est une bonne chose d’avoir une cible basée sur la seule inflation, sans prendre référence à l’écart de production (output gap), car vous ne pouvez pas maintenir à long terme l’inflation sans aussi maintenir l’écart de production à zéro. C’est quelque chois appelé la "Divine Coïncidence". Cependant si, à de faibles taux d’inflation, l’inflation devient un indicateur bruité, faible et asymétrique de l’écart de production, alors la focalisation sur l’inflation ne sera pas efficace. Dans ces circonstances, il peut y avoir plusieurs années avant que nous ne réalisions enfin que l’économie a fonctionné durablement sous sa pleine capacité et gâché ainsi des ressources. Malheureusement, même lorsque cette prise de conscience survient, pour d’évidentes raisons les banquiers centraux sont réticents à faire savoir l’erreur. »

Simon Wren-Lewis, « Asymmetries and uncertainties », in Mainly Macro (blog), 6 février 2015. Traduit par Martin Anota



« La Divine Coïncidence est l’idée selon laquelle, en contrôlant l’inflation, nous ramenons également l’écart de production à zéro, si bien qu’il n’y a pas besoin de cibles différentes pour atteindre ces deux objectifs. J’en ai parlé dans un récent billet, mais j’ai alors réalisé que je pouvais le montré d’une autre manière, plus efficace. La Coïncidence divine fonctionne essentiellement de dans de sens différents. Imaginez un monde parallèle où les autorités monétaires ciblent l’écart de production et non l’inflation (1) (2). Les autorités monétaires considèrent qu’en ciblant l’écart de production, elles contrôlent aussi l’inflation.

Maintenant, vous pouvez soulever une objection sur le plan pratique en suggérant qu’il est évident de cibler l’inflation et non l’écart de production, parce que ce dernier est plus difficile à mesurer. Je pense que cet argument s’affaiblit une fois que nous reconnaissons qu’en ciblant l’inflation, nous essayons en fait de réduire les coûts de l’inflation, or le taux d’inflation publié peut être un piètre indicateur pour évaluer ces coûts. Dans un cadre à la Woodford, par exemple, l’inflation est coûteuse car les prix sont visqueux (sticky), si bien que nous devons nous focaliser sur les biens (et le travail) dont les prix sont visqueux. C’est un argument plaidant en faveur à ce que l’on regarde l’inflation sous-jacente, mais l’inflation sous-jacente n’est pas une mesure parfaire de la viscosité des prix. Je suis certain que nos indicateurs pour mesurer l’écart de production sont au moins aussi bons pour capturer les coûts réels d’un écart de production non nul.

Cet univers parallèle aurait également connu la Grande Récession et (…) la reprise subséquente aurait été de même profil que la nôtre. Comment les autorités monétaires, ciblant l’écart de production dans cet univers parallèle, jugeraient-elles leur performance ? Elles y verraient un échec complet. Après six ans de tentatives, l’écart de production n’a toujours pas été refermé. Un large montant de ressources a donc été gâché et ce gâchis se poursuit. En fait, je pense que les autorités monétaires auraient dit assez explicitement qu’elles ne disposent plus des outils pour remplir leur mission. De plus, elles auraient probablement déclaré que c’est notamment en raison de l’austérité budgétaire qu’elles n’ont plus les outils nécessaires (en l’occurrence, que les taux d’intérêt nominaux soient toujours à leur borne inférieure zéro). Si elles n’essayaient pas de rejeter le blâme sur quelqu’un d’autre, elles auraient l’air totalement incompétent.

Je ne pense pas que, dans notre monde où les banques centrales ciblent l’inflation, les autorités monétaires n’ont pas ça en tête. En effet, d’après les informations dont je dispose et en ce qui concerne tout du moins les pays autres que ceux de la zone euro, les banquiers centraux pensent que la performance au cours des six dernières années n’a finalement pas été si mauvaise que ça. L’inflation fut un peu forte aux alentours de 2011 et est peut-être un peu faible maintenant, mais il n’y a rien de réellement problématique. Pourtant les données qu’ils suivent sont exactement les mêmes que celles que suivraient les banques centrales dans l’univers parallèle. La seule différence est qu’elles ciblent l’inflation, tandis que les banques centrales de cet univers parallèle se focalisent sur l’écart de production. Et par la Divine Coïncidence, cette différence serait soi-disant sans importance !

Mon idée d’univers parallèle illustre deux choses. Premièrement, au cours des six dernières années, la Divine Coïncidence a clairement été profane. Deuxièmement, il est par conséquent terriblement trompeur de se focaliser sur l’inflation (et en particulier sur l’inflation des prix à la consommation) plutôt que sur l’écart de production. Je pense que dans trente ans les étudiants vont considérer notre époque avec autant d’incrédulité que nous en avons en considérant les années trente. Ils demanderont comment nous avons pu laisser la récession durer aussi longtemps, alors que nous disposons des outils pour faire bien mieux. Une partie de réponse tiendra au ciblage d’inflation.

(1) ce n’est pas aussi simple que ça, parce qu’avec la courbe de Phillips (traditionnelle ou nouvelle keynésienne), ramener l’inflation à la cible assure un écart de production nul, mais un écart de production nul ne suffit pas pour que la cible d’inflation soit atteinte. Cependant je ne pense pas que ce point soit crucial.

(2) En raison de son double mandat, la Réserve fédérale des Etats-Unis peut en principe être dans les deux univers. En pratique toutefois, elle semble se focaliser sur l’inflation. »

Simon Wren-Lewis, « The Divine Coincidence in a parallel universe », in Mainly Macro (blog), 8 février 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Faut-il revoir le mandat des banques centrales ? »