« L'analyse du Budget du Royaume-Uni que vient de publier l’Institute for Fiscal Studies contient beaucoup de choses intéressantes. (Pour un résumé assez fidèle, lisez cet article du Financial Times.) L’un de ses constats, qui rejoint ce que beaucoup d’études ont déjà dit, est, pour citer le journal The Independent, que "les projets budgétaires de la Coalition pour le prochain Parlement promettent la plus large dose d’austérité budgétaire dans le monde développé". En fait, l’analyse provient des prévisions des Perspectives de l’économie mondiale du FMI. Voici un graphique représentant l’évolution passée et prévue des déficits budgétaires structurels (en % du PIB potentiel) pour plusieurs pays :



L’ampleur de la consolidation additionnelle prévue par le Royaume-Uni après 2015 est évidente. Il est important de noter que l’équilibre structurel (zéro sur le graphique) n’est en aucun une position neutre. Il signifie que le ratio dette publique sur PIB va chuter lorsque le PIB augmente. C’est ce que l’Allemagne est en train de faire et ce que la France cherche à faire, alors que les Etats-Unis et le Japon visent seulement à stabiliser leur ratio dette publique sur PIB.

Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, la question à se poser n’est pas de se demander s’il faut réduire graduellement le ratio dette publique nette sur PIB (je pense qu'il le faut), mais de se demander à quel moment il faut chercher à le faire. La théorie et les données empiriques nous disent clairement de ne pas chercher à le faire lorsque l’économie est confrontée à une trappe à liquidité, lorsque les taux d’intérêt nominaux sont contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound). Cela va gâcher un large montant de ressources (...). Dans le billet que j’ai récemment publié sur voxEU.org, j’ai affirmé que le PIB réel en 2014 aurait été supérieur de 4 % aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro si la consommation et l’investissement publics avaient suivi une trajectoire neutre, c’est-à-dire s’ils n’avaient pas été autant réduits qu’ils l’ont été.

Je n’obtiens pas ce résultat en supposant un multiplicateur irréaliste. Il reflète largement l’ampleur de l’austérité qui a été entreprise. La consommation et l’investissement publics étaient en 2015 inférieurs de 10 à 15 % à leur trajectoire neutre dans ces trois économies.

L’ampleur de l’austérité budgétaire peut s’expliquer par l’opportunisme politique dont font preuve ceux qui désirent réduire la taille de l’Etat. (…) Plusieurs raisons amènent à considérer qu’une telle éventualité est possible. Si nous le faisons, alors ces réductions de dépenses (…) montrent clairement que (pour le moment tout du moins) l’opportunisme a été une réussite au regard de ses objectifs. La taille de l’Etat a été substantiellement réduite en faisant de la réduction des déficits publics la priorité macroéconomique numéro une.

C’est important, parce que cela influence les leçons à tirer de cette expérience. Aux yeux d’un macroéconomiste, perdre plus de 4 % du PIB au cours d’une année constitue un large coût. Un tel coût pourrait éventuellement être justifié s’il avait été occasionné pour juguler une forte inflation, or, non seulement ce ne fut pas le cas, mais le taux d’inflation est désormais bien inférieur à sa cible. La question qu’il faut évidemment se poser est de se demander comment éviter que les économies ne subissent à nouveau de tels coûts. Si ces derniers s’expliquent avant tout par l’opportunisme politique et si l’opportunisme s’est révélé être une réussite au regard de ses objectifs, alors il semble hautement probable que les économies subissent à nouveau de tels coûts la prochaine fois qu’il y aura une récession mondiale majeure. Si c’est le cas, alors les macroéconomistes doivent repenser la manière par laquelle la politique macroéconomique est menée après les récessions majeures. En outre, si l’opportunisme politique est à l’origine des décisions politiques, nous allons voir dans des pays comme le Royaume-Uni jusqu’où l’opportunisme peut aller.

Simon Wren-Lewis, « Going for balance », in Mainly Macro (blog), 4 février 2015. Traduit par Martin Anota