« Dans le billet que j’ai récemment publié sur voxEU.org, j’ai réalisé un exercice simple pour montrer à quel point l’austérité budgétaire a été importante aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro. Si la consommation et l’investissement publics avaient augmenté de 2 % par an à partir de 2010 et si l’on suppose un multiplicateur budgétaire de 1,5, alors le PIB en 2013 aurait "pu" être supérieur de 4 % au niveau qu’il a effectivement atteint dans chacune de ces trois économies. (1)

Il n’est pas inutile de sans cesse rappeler quel immense gâchis cela représente. Si la croissance a été amputée chaque année de 1 point de pourcentage, alors nous obtenons pour l’année 2013 une perte cumulée équivalente à 10 % du PIB. Cette approximation est assez bonne pour les Etats-Unis. Elle colle aussi assez bien avec les estimations de la zone euro basées sur les simulations des modèles NIGEM et QUEST (...), mais l’étude de Rannenberg et alii dont j’ai déjà parlée suggère des pertes cumulées du PIB encore deux fois plus importantes. Le Royaume-Uni se distingue des Etats-Unis sur le fait que l’austérité fut concentrée lors des premières années. En utilisant la même méthodologie (c’est-à-dire un multiplicateur budgétaire de 1,5) vous obtenez une perte cumulée représentant environ 14 % du PIB.

Pour le Royaume-Uni, j’ai souvent cité un chiffre plus petit en parlant de pertes s’élevant à 5 %, mais celui-ci se fonde sur une analyse que j’ai toujours prudemment qualifiée de conservatrice. Il s’agit des estimations l’OBR de l’impact de l’austérité budgétaire que réalise. Celle-ci utilise de plus faibles multiplicateurs (mais elle prend en compte l’impact d’une hausse des impôts, chose que je ne fais pas) et elle suppose que tout ce que le PIB a perdu fut retrouvé en 2013. Dans les deux cas, les pertes sont importantes, allant de 5 % à 14 %.

Pourquoi est-ce que je tends à citer l’estimation conservatrice dans le cas du Royaume-Uni ? Pour quatre raisons. Premièrement, le gouvernement adore utiliser l’analyse de l’OBR quand elle va dans son sens, parce que son travail a une certaine autorité. Deuxièmement, l’analyse de l’OBR est plus détaillée et complète et elle permet implicitement une certaine compensation de la part de la politique monétaire, ce qui peut être raisonnable étant donné la forte inflation qu’il y avait en 2011. (...) Troisièmement, je pensais qu’il y avait une certaine justice à supposer que toute la croissance du PIB en 2013 fut simplement un rebond suite à un plan d’austérité antérieur, vu que beaucoup ont affirmé que la croissance de 2013 avait donné raison à cette politique (2). Quatrièmement, perdre 5 % du PIB est déjà bien catastrophique, donc on ne gagne pas grand-chose à utiliser un chiffre plus élevé, en particulier lorsque la plupart de la médiamacro se comporte comme si les pertes étaient nulles. Mais si vous me demandez quelle est selon moi la meilleure estimation des pertes, elle est plus proche de 14 % que de 5 % du PIB (3).

Comme je le montre dans mon billet sur voxEU.org, si le PIB américain avait été supérieur de 4 % en 2013, il serait aujourd’hui supérieur au niveau du PIB potentiel tel que l’estime le CBO. C’est également le cas avec les estimations de l’OCDE du PIB potentiel pour le Royaume-Uni et pour la zone euro. Mais toutes ces trois estimations supposent que le PIB "tendanciel" ou "potentiel" (qu’importe comment vous voulez l’appeler) a fortement diminué suite à la Grande Récession. Dans mon prochain billet, je me demanderai s’il est raisonnable de supposer que le PIB potentiel est indépendant du PIB courant et pourquoi même mon chiffre de 10 % (14 % pour le Royaume-Uni) pourrait être une sous-estimation.

Que ce soit 5 % ou 10 % du PIB, voire plus, ce sont de tels chiffres que j’avais en tête lorsque j’écrivais ces deux billets. Ils illustrent tous deux clairement les risques asymétriques dont j’ai parlés ici. Si ces chiffres sont exacts et si les responsables de la politique monétaire sont néanmoins satisfaits de leur performance au cours de ces cinq dernières années, soit ils ont une vision complètement décalée des coûts de l’inflation (4), soit ils sont aveuglés par leur croyance en la Divine Coïncidence : ils croient qu’ils n’ont qu’à observer le comportement de l’inflation pour juger de leur performance. (Ils peuvent croire qu’ils n’avaient pas à leur disposition les outils pour assurer leur mission ou qu’ils poursuivaient la mauvaise cible, mais si c’est ce qu’ils pensaient c’est ce qu’ils auraient dû dire.)

Observant le passé et l'actualité, Paul Krugman a récemment parlé des différences entre insiders et outsiders en matière de politique économique. Cela reflète aussi ma propre expérience au Royaume-Uni. Comment nous, les outsiders, pouvons-nous changer cela ? Je pense qu’il faut commencer par amener les insiders à prendre conscience des coûts macroéconomiques associés à l’austérité budgétaire. Une fois que y parvenez, vous réalisez à quel point la politique macroéconomique (et non la théorie macroéconomique) a récemment essuyé un échec et, par conséquent, à quel point il est important de faire attention de ne pas commettre la même erreur.

(1) J’utilise le verbe "pouvoir", parce que toute croissance supplémentaire de la demande peut (ou non) avoir été compensée par un resserrement de la politique monétaire. Si elle l’avait été, je serais en train d’écrire dans ce monde contrefactuel des billets sur la bêtise de la politique monétaire.

(2) Nous aurions alors un parfait exemple de mon idée de "détruire une partie de l’économie pour stimuler la croissance future" que j’ai utilisée lorsque les gents ont voulu décrire la croissance de 2013 au Royaume-Uni comme donnant raison à l’austérité. Paul Krugman préfère être frappé par une batte de baseball.

(3) Selon mon estimation conservatrice, chaque habitant au Royaume-Uni a perdu 1.500 £ en raison de l’austérité ; la meilleure estimation est selon moi plus proche de 4.000 £. (C’est en moyenne 10.000 £ par ménage au Royaume-Uni.) Le chiffre équivalent est supérieur à 5.000 $ (10 % du PIB par tête) pour les Etats-Unis et de 3.000 € pour la zone euro.

(4) Une faible reprise a certainement permis de réduire l’inflation entre 2011 et 2014, mais si vous demandez à la plupart des gens ce qu’ils auraient été prêts à payer pour cela, je doute qu’ils répondent plusieurs dizaines de milliers de dollars, d’euros ou de livres sterling.

Simon Wren-Lewis, « The size of the recent macro policy failure », in Mainly Macro (blog), 15 février 2015. Traduit par Martin Anota