« J’ai le sentiment que Paul Krugman a écrit ce billet parce qu’il est exaspéré par ceux qui sélectionnent des données particulières pour tirer des conclusions incorrectes à propos de l’importance de la politique budgétaire. Je nourris la même exaspération. Je réalise le même exercice que Paul, mais en utilisant les données de l’OCDE. Je prends la croissance de la consommation publique (sur l’axe des abscisses) et la croissance du PIB (sur l’axe des ordonnées) pour une multitude de pays pour chaque année sur la période 2010-2013 et représente les deux variables l’une par rapport à l’autre.



Ce que Paul veut montrer dans ce billet n’est pas que cette corrélation positive montre que la politique budgétaire est importante, mais qu’il y a une hétérogénéité de situations, si bien qu’il est toujours possible de trouver un cas où G a chuté et où le PIB a augmenté, et inversement, mais la tendance générale est bien que les deux variables sont positivement corrélées entre elles.

Je pense que cela ne doit pas aller plus loin. Comme Paul l’a également dit, vous pouvez affirmer assez légitimement que la relation n’est pas causale. Voici un très bon argument montrant que cela peut ne pas être le cas. Imaginez un monde idéal où la croissance est toujours régulière et où tout se passe comme prévu, mais où certains pays connaissent une plus forte croissance que d’autres. Si chaque pays a prévu de garder le ratio G/PIB constant, vous seriez susceptibles de voir que les pays ayant la plus forte croissance économique sont également ceux connaissant la plus forte croissance de G, tandis que dans d’autres pays vous devriez voir une plus faible croissance des deux variables. Ce que vous observeriez serait des points proches de la ligne à 45 degrés. Cela ne vous dirait rien à propos de la manière par laquelle un choc affectant G pourrait influencer Y. Si vous essayez d’interpréter la ligne à 45 degrés comme une mesure du multiplicateur G, vous obtiendriez des valeurs élevées, mais celles-ci serait irréalistes.

Ce n’est pas une question purement théorique. Regardez les trois points associés à une croissance supérieure à 8 %. Ils sont associés à l’Estonie et la Turquie. La croissance de G a été plutôt faible pour ces deux pays, mais personne ne pourrait sérieusement suggérer que cela signifie qu’ils se caractérisent par un multiplicateur budgétaire particulièrement élevé. (…)

Les autres cas extrêmes dans le versant négatif sont principalement associés à la Grèce. Dans son cas, l’idée d’une causalité inverse est moins convaincante : nous savons que ce n’est pas la décroissance du PIB qui a poussé les Grecs à réduire les dépenses publiques. Cependant la corrélation ici ne peut toujours pas être considérée comme une relation causale en raison d’un autre problème économétrique élémentaire : l’existence de variables omises. L’austérité n’a pas seulement entraîné une réduction de la consommation publique ; elle a également entraîné plusieurs autres dynamiques budgétaires qui ont également été susceptibles d’avoir un large impact sur le PIB.

Tout cela explique bien sûr pourquoi les gens affine leur analyse économétrique sur cette question. Malheureusement le fait qu’il y ait eu énormément de travaux économétriques se penchant sur la taille des multiplicateurs budgétaires génère lui-même un problème similaire. En raison des variables omises, des problèmes de simultanéité et de d’autres questions méthodologiques difficiles à résoudre, mais aussi du fait que les échantillons de données utilisés ne sont pas les mêmes, tous les travaux économétriques n’aboutissent pas aux mêmes conclusions, si bien qu’il est toujours possible de privilégier certains de ces travaux et d’en passer d’autres sous silence.

Une manière de faire face à ce problème consiste, pour toute nouvelle étude, de commencer par chercher à répliquer les résultats de ses prédécesseurs, chose que font par exemple Jordà et Taylor. (…) Une alternative est de réaliser des méta-analyses, comme l’a récemment fait Sebastian Gechert par exemple. Dans le résumé de son article, Gechert indique qu’il "constate que les multiplicateurs des dépenses publiques sont proches de l’unité et qu’ils sont environ supérieurs de 0,3 à 0,4 aux multiplicateurs associés aux impôts et aux transferts. Les multiplicateurs associés aux investissements publics sont même plus larges que ceux associés aux dépenses publiques en général d’approximativement 0,5". Heureusement c’est cohérent avec ce que la théorie peut suggérer. Une méta-analyse réalisée par Gechert et Rannenberg montre que les multiplicateurs sont "systématiquement plus élevés lorsque l’économie souffre d’un ralentissement", un résultat auquel aboutissent également Jordà et Taylor.

Malgré le nombre d’études économétriques déjà réalisées, je suis sûr qu’il y a encore beaucoup à faire. Il y a de profonds désaccords qui ne sont toujours pas résolus. Je pense toutefois que les analyses s’accordent sur certaines choses lorsqu’elles contrôlent adéquatement le régime monétaire en place. Bien sûr, nous avons très peu d’observations relatives au déploiement de programmes d’assouplissement quantitatif lorsque les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure zéro. Si on laisse de côté l’assouplissement quantitatif, ce que les modèles de base des nouveaux keynésiens nous disent est que les multiplicateurs observés dans un régime de taux de change fixes agissent probablement comme une borne inférieure pour les multiplicateurs de la borne inférieure zéro, si bien que ce qui s’est passé en périphérie de la zone euro n’est pas sans pertinence pour le Royaume-Uni, pour les Etats-Unis, pour le Japon et pour la zone euro dans son ensemble. Nous en savons suffisamment, que ce soit au niveau théorique qu’au niveau empirique, pour suggérer que les multiplicateurs à la borne inférieure zéro peuvent être larges, mais nous ne savons pas encore à quel point ils sont larges. Cependant je doute notre savoir s’améliore en se contentant de sélectionner certains points plutôt que d’autres. »

Simon Wren-Lewis, « Fiscal policy, correlations and causation », in Mainly Macro (blog), 26 février 2015. Traduit par Martin Anota