« Dans deux billets récemment publiés, Martin Feldstein et Andrew Sentance (ancien membre du comité de politique monétaire à la Banque d’Angleterre) critiquent les récentes actions menées par les banques centrales pour stimuler l’inflation et la ramener à sa cible de 2 %.

Andrew Sentance regrette clairement les banquiers centraux des années quatre-vingt, les combattants de la forte inflation. Il présente en l’occurrence une définition intéressante du boulot de banquier centrale : "le boulot des banquiers centraux consiste à prendre des décisions impopulaires lorsque les politiciens ne le font pas. Nous ce que fîmes la Bundesbank et la Réserve fédérale des Etats-Unis durant les années soixante-dix et quatre-vingt". Et, malheureusement, les banquiers centraux ne sont plus en train de lutter contre l’inflation (peut-être parce que l’inflation est trop faible ?) : "Cela montre à quel point les banques centrales ont changé lorsque celles-ci, après avoir gagné leur crédibilité en réussissant à maîtriser les prix, essayent maintenant de générer de l’inflation et non de la réfréner."

Et c’est pire encore lorsque Sentance se rappelle de l’année 2011 : "Les banques centrales semblent maintenant prêtes à faire tout ce qui leur est possible de faire pour soutenir la croissance, en l’occurrence au point que l’on peut douter de la réalité de leur engagement à maintenir la stabilité des prix. La politique monétaire a délibérément fermé un œil sur l’inflation relativement forte que l’on a observé en 2011-2012". Il y a deux banques centrales qui se sont inquiétées de l’inflation au cours de ces années : la BCE et la banque centrale de Suède. Pas sûr qu’elles soient des exemples à suivre.

Ce que les deux articles partagent est une vision asymétrique de l’inflation. Selon leurs auteurs, l’inflation n’est problématique que lorsqu’elle est trop élevée. La forte inflation représenterait un réel risque, associé à des coûts significatifs, tandis qu’une inflation inférieure à sa cible ne serait pas problématique (malgré toutes les preuves du contraire que nous enseigne la récente crise).

Leurs critiques seraient beaucoup plus puissantes si l’inflation accélérait dans un quelconque endroit dans le monde, mais ce n’est pas le cas. Donc Feldstein et Sentance ont cherché un autre coût qui serait associé à cette politique "irresponsable" visant à accroître l’inflation et à la ramener à sa cible. Et ce que Martin Feldstein trouve, c’est l’instabilité financière que les "faibles taux d’intérêt" sont susceptibles de générer (un argument qui a déjà été avancé par plusieurs critiques des récentes actions des banques centrales).

Mais, comme le remarque Paul Krugman, c’est réellement étrange d’entendre cet argument venir de ceux qui disent croire au pouvoir et à l’efficacité des marchés (relativement aux autorités publiques). Comment est-il possible que les marchés financiers puissent être si facilement trompés par la politique monétaire et finissent par tellement mal évaluer les prix d’actifs qu’il y ait finalement une bulle, dont l’éclatement aura de puissantes répercussions négatives sur l’économie ? Parce que lorsque nous parlons d’une hausse des prix d’actifs dans un contexte de faibles taux d’intérêt, nous parlons bien de bulles et d’instabilité. Si c’est réellement ce que nous croyons, ne serait-ce pas un argument pour renforcer la réglementation sur les marchés qui se révèlent incapables de comprendre comment les taux d’intérêt et d’autres facteurs macroéconomiques affectent les prix d’actifs ?

Je ne dénie pas le fait que les périodes de taux d’intérêt inhabituellement faibles puissent en effet créer quelque confusion parmi les investisseurs et les marchés (en provoquant ce que nous appelons la "quête du rendement"). Mais pour avancer cet argument, nous devons comprendre la nature mondiale de ce phénomène. Celle-ci suggère que les raisons expliquant la faiblesse des taux d’intérêt se situent au-delà des actions d’une banque centrale. Et nous avons alors besoin d’une théorie des marchés financiers qui nous permette de comprendre leur comportement irrationnel et de déterminer comment la banque centrale peut influencer ce comportement. Il n’est selon moi pas certain que l’histoire des bulles financières nous apprenne beaucoup de choses quant à la capacité des banques centrales à freiner cet optimisme excessif. Les taux d’intérêt réels durant les années quatre-vingt-dix furent élevés et ils ne mirent pourtant pas un terme à la plus large bulle que les marchés boursiers américains aient connu au cours de leur histoire. »

Antonio Fatás, « Missing the anti-inflation central bankers », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 2 mars 2015. Traduit par Martin Anota