« La monnaie-hélicoptère a commencé comme une expérience de pensée abstraite : la monnaie serait créée et juste distribuée aux individus par hélicoptère. (…) En termes techniques, il s’agit d’une combinaison de politique monétaire (la création de monnaie) et de politique budgétaire (le gouvernement donnant de la monnaie aux individus). Les économistes appellent de telles combinaisons des relances budgétaires financées par création monétaire. Avec le déploiement de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), on a également parlé d’"assouplissement quantitatif pour les gens" (QE for the people).

Certains ont suggéré que les banques centrales peuvent émettre de la monnaie-hélicoptère sans que soient impliqués les gouvernements. C’est une fantaisie qu’ont concoctée ceux qui n’aiment pas l’idée de gouvernement. D’autres qui n’aiment pas l’idée de politique budgétaire ont suggéré que la monnaie-hélicoptère ne serait pas réellement un transfert budgétaire. C’est aussi un non-sens.

La monnaie-hélicoptère est une forme particulière de relance budgétaire financée par création monétaire. Elle se caractérise par deux aspects clés que ne possèdent pas les autres mesures de relance budgétaire financées par création monétaire. Le premier est qu’elle implique un genre particulier de politique budgétaire. Un hélicoptère qui effectuerait ce transfert budgétaire le ferait aléatoirement, mais ce que la plupart des gens ont en tête est une distribution égale entre toutes les personnes (tous les adultes ?), une sorte d’impôt censitaire inversé ou ce que les économistes appelleraient un transfert forfaitaire.

Je pense que c’est ce second aspect qui s’avère crucial. Vous pouvez imaginer le gouvernement faire un transfert à chacun et vous pouvez aussi imaginer la banque centrale distribuer de la monnaie aux seules personnes qui ont payé un impôt sur le revenu l’année précédente. Le fait que la monnaie hélicoptère soit initiée par la banque centrale semble bien plus comme une caractéristique déterminante. Si le gouvernement pouvait ordonner l’émission d’une monnaie-hélicoptère, nous dirions que la banque centrale ne serait plus indépendante.

Cet aspect caractéristique de la monnaie-hélicoptère est aussi ce qui la rend attractive du point de vue de la stabilisation macroéconomique. (…) Le consensus était avant que la fonction de stabilisation de la demande globale devait être entièrement confiée à la politique monétaire menée par des banques centrales indépendantes, tandis que le rôle de la politique budgétaire au niveau agrégé devait être de se focaliser sur les déficits et la dette publique. Le talon d’Achille de cette idée est que les taux d’intérêt ne peuvent plus être utilisés pour stabiliser la demande globale lorsqu’ils butent sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound). L’assouplissement quantitatif essaye de restaurer la demande, mais la monnaie-hélicoptère serait bien plus fiable et efficace. Bien sûr, les gouvernements pourraient réaliser des transferts par eux-mêmes en laissant creuser leur déficit. Mais ces dernières années ont clairement montré qu’ils ont tendance, lors des profondes récessions, à se focaliser sur la seule réduction des déficits publics, si bien que nous nous retrouvons finalement avec une austérité budgétaire en lieu et place de la relance budgétaire. (1)

Le dernier point soulève un possible problème avec la monnaie-hélicoptère : le gouvernement peut saisir l’opportunité (…) pour accroître les impôts ou pour réduire les transferts et nous nous retrouvons finalement à monétiser une partie de la dette publique. On peut espérer que cela ne se passera pas ainsi pour les trois raisons suivantes. Premièrement, les gouvernements sont moins agiles que les banques centrales. Deuxièmement, les bons gouvernements doivent travailler avec les règles budgétaires qui spécifient un plan à moyen terme pour réduire les déficits. Troisièmement, la relance monétaire est seulement temporaire, donc le bénéfice à long terme en termes de réduction des déficits serait bien mince si les gouvernements essayaient de jouer à ce petit jeu. (2)

Si la monnaie-hélicoptère a pour caractéristique d’être mise en œuvre par la banque centrale et si cette politique nécessite toujours la coopération du gouvernement, est-il alors possible d’imaginer une forme de monnaie hélicoptère qui soit plus "démocratique" ? Pourquoi la banque centrale ne pourrait-elle pas donner la monnaie au gouvernement, à condition qu’elle soit utilisée pour accroître les transferts ou pour réduire les impôts d’une certaine manière ? Au lieu de donner la monnaie à tout le monde, notamment aux riches, un gouvernement de gauche pourrait trouver préférable d’accroître les transferts aux pauvres. Un gouvernement de droite pourrait décider de la donner aux "familles qui travaillent dur", ce qui correspondrait à un allègement fiscal. Nous pouvons appeler cela la monnaie-hélicoptère démocratique.

Je crois qu’il existe deux problèmes avec la monnaie-hélicoptère démocratique. Supposons que le gouvernement décide d’utiliser la monnaie pour alléger les impôts des ménages ayant une très faible propension à consommer. Si la banque centrale fixe au préalable le montant de la relance monétaire, elle rend cette relance bien moins efficace. Si elle accroît la taille de la relance après que le gouvernement ait décidé de la manière par laquelle dépenser, cela soumet le gouvernement à des incitations perverses : adoptez des manières inefficaces de stimuler l’économie et nous allons vous donner plus de monnaie.

Une manière de régler ces problèmes serait que la banque centrale et le gouvernement coopèrent sur la taille et la forme de toute relance budgétaire financée par création monétaire. Ceci peut avoir des bénéfices supplémentaires. La plupart des études et des théories suggèrent que la relance budgétaire le plus efficace consiste à accélérer les projets d’investissement public. Avec la monnaie hélicoptère démocratique, la banque centrale et le gouvernement peuvent coopérer sur cette politique, plutôt que d’utiliser une réduction d’impôt ou un transfert budgétaire. Cependant une telle coopération est susceptible de créer un deuxième problème : elle remet en question la perception (et peut-être la réalité même) que la banque centrale soit à la fois indépendante et apolitique.

Etant donné ces problèmes, pourquoi envisager la monnaie hélicoptère démocratique ? Une raison peut être politique. Il y a longtemps, j’ai proposé de donner des pouvoirs limités aux banques centrales qui leur permettraient de changer temporairement un ensemble prédéfini de taux d’imposition. J’ai même défendu cette idée devant la commission parlementaire du Trésor du Royaume-Uni. Dire que les parlementaires ne voyaient pas d’un bon œil mon idée serait un euphémisme. Rendre la monnaie-hélicoptère démocratique est nécessaire pour que les politiciennes la soutiennent.

(1) Combiné avec l’assouplissement quantitative, ceci peut devenir une relance budgétaire financée par création monétaire. Une autre manière d’éviter cette focalisation sur la réduction des déficits serait de faire adopter par les gouvernements une règle budgétaire en vertu de laquelle, lorsque les taux d’intérêt sont susceptibles d’atteindre la borne zéro, la banque centrale, en coopération avec le conseil budgétaire, proposerait d’accroître le déficit en adoptant un plan de relance budgétaire d’une taille donnée. C’est la proposition que nous faisons, Jonathan Portes et moi-même. Si le plan de relance était financé par création monétaire, il s’agirait alors de monnaie-hélicoptère.

(2) Aucune de ces considérations, même collectivement, exclut la possibilité que le gouvernement puisse détourner la monnaie-hélicoptère de cette manière. Cette note de bas de page et la précédente montrent que ce que nous sommes finalement en train de parler ici est bien de l’efficacité des différents mécanismes institutionnels à persuader les gouvernements de mettre en œuvre une relance budgétaire en période de récession et ainsi à éviter l’adoption de l’austérité. »

Simon Wren-Lewis, « Can helicopter money be democratic? », in Mainly Macro (blog), 26 février 2015. Traduit par Martin Anota