« Supposons que la baisse des prix du pétrole annonce cinq années de croissance significativement supérieure à la moyenne dans les économies de l’OCDE ; nous évitons la déflation, mais malgré une forte croissance, nous parvenons à maintenir l’inflation à sa cible, voire même à un niveau inférieur à celle-ci. Même si cela se passe ainsi, l’histoire de la Grande Récession restera celle d’un drame. Si vous comparez l’endroit où nous sommes avec celui où nous aurions pu être si la crise financière n’avait pas eu lieu, vous constateriez un large fossé entre les deux. Même si nous parvenions par chance à refermer cet écart au cours des cinq prochaines années, cette très lente reprise va nous coûter cher. Dans certains pays (essentiellement en zone euro) ce coût se traduit actuellement par des taux de chômage élevés, tandis que dans d’autres (les Etats-Unis par exemple) il se traduit par une stagnation ou un déclin des salaires réels. (Le Royaume-Uni est désormais dans le second groupe : si vous êtes fatigué d’entendre ça de moi, vous pouvez lire ceci de John Van Reenen.)

Y a-t-il des leçons à tirer de ça ? Vous pouvez probablement diviser le groupe des économistes en deux camps sur ce point. Un groupe, le groupe de l’offre (qui inclurait la plupart de ceux qui décident de la politique monétaire) tend à penser que nous avons fait le mieux que nous puissions faire dans ces circonstances. Par circonstances, j’entends deux choses liées : une hausse assez surprenante de l’inflation durant 2011 et un déclin apparent de la capacité du côté de l’offre de l’économie à croître au même rythme qu’avant la crise. Si le premier fait est indéniable, le second reste à démontrer, parce que nous ne pouvons observer le principal moteur de la croissance à long terme, en l’occurrence le progrès technique.

Le second groupe d’économistes attribue avant tout la lenteur de la reprise suite à la crise financière à une insuffisance de la demande agrégée. J’appartiens à ce second groupe et j’ai régulièrement affirmé que l’austérité budgétaire avait beaucoup contribué à la lenteur de la reprise. (…) Toute hausse nouvelle de l’inflation autour de 2011 aurait été modeste et temporaire, auquel cas il n’y aurait pas eu nécessairement une hausse de taux d’intérêt avec une politique monétaire raisonnable.

Je pense que la plupart des membres du second groupe partagent également l’idée qu’il serait une grande erreur d’ignorer cette mauvaise expérience en le considérant comme un événement unique ou comme quelque chose qui survient seulement une fois par siècle. L’histoire de l’évènement unique peut focaliser sur une lecture erronée de la crise de la zone euro : cependant si celle-ci peut expliquer le changement d’attitude de la part de certaines institutions majeures comme le FMI, elle explique plus difficilement pourquoi les responsables politiques autour du monde ont embrassé l’austérité. L’idée qu’il s’agisse d’un événement qui se produit qu’une fois par siècle est fausse parce qu’elle ne prend pas en compte les changements provoqués par l’adoption généralisée de cibles d’inflation de 2 % dans un contexte où il est probable que le taux d’intérêt réel "naturel" reste faible pendant quelques temps.

Différents membres du groupe de la demande ont proposé trois innovations différentes et radicales en matière de politique macroéconomique pour éviter que ce genre d’erreur se reproduise. Il s’agit du ciblage du PIB nominal (NGDP targeting), du relèvement de la cible d’inflation et d’une certaine forme de monnaie-hélicoptère. Est-ce que ces innovations sont complémentaires ou substituables entre elles ?

Certains économistes (notamment les monétaristes de marché) semblent affirmer que changer la politique monétaire en adoptant le ciblage du PIB nominal serait suffisant. Je suis moins optimiste. Un clair avantage du ciblage du PIB nominal (et non le seul avantage) est qu’il amènerait les agents à formuler des anticipations plus expansionnistes durant la récession et lors de la reprise, mais selon moi ceci ne suffirait pas pour empêcher les trappes à liquidité de survenir. C’est parce que l’économie fut confrontée à une trappe à liquidité (les taux d’intérêt nominaux sont incapables de chuter sous un certaine borne autour de zéro) que la Grande Récession fut si sévère ; les épisodes où nous sommes confrontés à une trappe à liquidité sont devenus plus fréquents parce que la cible d’inflation (qu’elle soit explicite ou bien implicite dans le cas du ciblage du PIB nominal) est faible.

Un relèvement de la cible d’inflation est une manière évidente de réduire la fréquence des trappes à liquidité. Si le taux d’intérêt naturel était de 2 %, par exemple, alors avec une cible d’inflation de 4 %, le taux d’intérêt nominal aurait une plus grande marge pour chuter avant que la borne inférieure zéro soit atteinte que si la cible d’inflation était de 2 %. Il est important de noter que cet argument n’empêche pas d’adopter le ciblage du PIB nominal, parce que toute trajectoire de cible pour le PIB nominal inclut une cible implicite d’inflation. Pour cette raison, vous pouvez considérer le ciblage du PIB nominal et un relèvement de la cible d’inflation comme soit complémentaires, soit substituables selon que vous pensez que l’un des deux dispositifs est capable ou non de faire le boulot à lui seul.

La monnaie-hélicoptère consiste finalement à donner à la banque centrale un instrument additionnel, en l’occurrence une forme de relance budgétaire. Dans ce sens, elle se distingue du ciblage du PIB nominal ou du relèvement de la cible d’inflation dans la mesure où, parce qu’elle implique un changement des instruments plutôt que des objectifs de politique monétaire. Pour cette raison, elle peut en principe être complémentaire à ces deux politiques monétaires radicales. D’une certaine manière, la monnaie-hélicoptère est mieux perçue comme une alternative à l’assouplissement quantitatif et il n’y a aucune raison nous amenant a priori à penser que l’assouplissement quantitatif serait incompatible avec un ciblage du PIB nominal ou avec un relèvement de la cible d’inflation. Il est bien sûr possible que la monnaie-hélicoptère rende moins pressante l’adoption de d’autres changements radicaux si elle se révélait être efficace pour faire face aux trappes à liquidité.

(…) Si la première phrase de ce billet s’avérait exacte, il est peu probable que l’un de ces changements radicaux soit adopté avant le prochain épisode de trappe à liquidité. Une période de forte croissance suffira aux autorités pour prétendre que la lente reprise suite à la crise financière était un événement unique ou bien le mieux qu’il y avait à avoir dans ces circonstances. Je pense plutôt qu’au fur et à mesure que l’économie se rapprochera de sa tendance d’avant-crise, les économistes du groupe de la demande convaincront toujours plus d’économistes du groupe de l’offre qu’ils ont eu tort. Ceci va donner une plus grande crédibilité à l’idée que des changements radicaux de politique monétaire sont nécessaires et chaque alternative fera l’objet d’une plus grande analyse et d’un plus grand soutien parmi les économistes avant que l’économie ne bascule à nouveau dans une trappe à liquidité. »

Simon Wren-Lewis, « Radical macro lessons from the Great Recession. The relationship between NGDP targets, a higher inflation target and helicopter money », in Mainly Macro (blog), 17 mars 2015. Traduit par Martin Anota



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