« La forte hausse du chômage aux Etats-Unis a entraîné un débat autour des facteurs qui en sont à l’origine. Au troisième trimestre 2014, le taux de chômage à long terme restait au-dessus de 2 %, c’est-à-dire bien supérieur au taux de 0,7 % enregistré en 2007. Parmi les facteurs possibles, l’incertitude économique a été tenue responsable pour la lenteur de la reprise sur le marché du travail américain. L’étude séminale de Nicholas Bloom (2009) montre que, en présence d’incertitude, un mécanisme d’attentisme peut être l’origine à du cycle d’affaires américain. L’incertitude est par nature inobservable, si bien que les chercheurs se focalisent sur la construction d’un indicateur d’incertitude variable au cours du temps à partir de diverses sources de données. Notre première contribution est de construire deux indices séparés qui capturent l’incertitude agrégée et l’incertitude sectorielle à partir d’une source commune : la volatilité sur les marchés boursiers américains.

Théoriquement, les chocs d’incertitude influence l’évolution du taux de chômage en présence de coûts d’ajustement de main-d’œuvre, comme le suggère Bloom. Selon ce mécanisme, la valeur d’option de l’attente s’accroît lorsque l’incertitude est élevée, ce qui incite les entreprises à être plus prudentes dans leurs décisions d’embauches et de licenciements. Pour tester cette prédiction théorique, Bloom construit un indice d’incertitude basé sur la volatilité observée de l’indice boursier S&P500 et sa volatilité implicite. En modélisant l’incertitude aux niveaux macroéconomique et microéconomique, Bloom suppose que le même processus stochastique est à leur origine, parce qu’une mesure de l’incertitude agrégée est bien corrélée avec d’autres mesures de l’incertitude intersectorielle, telle que la dispersion de la croissance des profits des entreprises, les rendements boursiers et la croissance de la productivité au niveau sectoriel.

Malgré la forte corrélation entre les indices de ces deux types d’incertitude, leurs effets sur les marchés du travail peuvent ne pas être les mêmes parce que le travail se distingue des autres facteurs de production. Les travailleurs accumulent au cours du temps du capital humain spécifique à leur secteur, rendant la réallocation intersectorielle de la main-d’œuvre bien plus coûteuse que la réallocation de la main-d’œuvre à l’intérieur de chaque secteur. Quand de telles frictions sont importantes, l’incertitude sectorielle peut avoir un plus puissant impact sur le marché du travail que l’incertitude agrégée. Cependant la littérature ne distingue pas entre les effets de ces deux types d’incertitude.

Nous comblons ce manque en comparant les effets respectifs des chocs d’incertitude sectorielle et des chocs d’incertitude agrégée sur le taux de chômage. Nous nous appuyons sur les précédentes études pour justifier nos deux indices d’incertitude qui capturent ces différents types d’incertitude. Prakash Loungani, Mark Rush et William Tave (1990) et Lael Brainard et David Cutler (1993) utilisent la volatilité du marché boursier américain que l’on observe d’un secteur à l’autre comme indicateur des chocs sectoriels pour étudier l’effet sur le chômage. Ils pensent que les hausses du chômage suivent les périodes de forte dispersion des rendements boursiers d’un secteur à l’autre parce que la plus grande dispersion sectorielle entraîne une réallocation de la main-d’œuvre entre les secteurs (Fischer Black, 1995), qui est plus coûteuse que la réallocation de la main-d’œuvre dans un même secteur. Par conséquent, si l’indice d’incertitude sectorielle capture un besoin pour la réallocation de la main-d’œuvre intersectorielle sur l’incertitude concernant l’ensemble de l’économie, on s’attend à ce que les chocs d’incertitude sectorielle aient des effets plus persistants que les chocs d’incertitude agrégée sur le taux de chômage.

Nous apportons trois nouvelles conclusions empiriques. Premièrement le taux de chômage a des réponses dynamiques très différentes face aux chocs d’incertitude selon qu’il s’agisse d’incertitude agrégée ou d’incertitude sectorielle. Tandis que les chocs d’incertitude agrégée ont des effets momentanés sur le taux de chômage (atteignant un pic au bout de deux trimestres et devenant statistiquement non significatifs après quatre trimestres), les chocs d’incertitude sectorielle ont des effets plus persistants (en atteignant leur pic au bout de deux ans et devenant statistiquement non significatifs après trois ans).

Deuxièmement, la part des fluctuations du chômage attribuée aux chocs d’incertitude sectorielle s’accroît significativement lorsque l’on passe du chômage à court terme au chômage à long terme, tandis que les chocs d’incertitude agrégée présentent une dynamique inverse, leur contribution diminuant lorsque l’on passe du chômage à court terme au chômage à long terme. Ces résultats suggèrent que les chocs d’incertitude agrégée et d’incertitude sectorielle sont corrélés avec des chômages de différentes durées. Troisièmement, l’incertitude sectorielle durant la Grande Récession contribue à expliquer pourquoi le taux de chômage a été si important par la suite, mais les chocs d’incertitude agrégée ont joué un rôle mineur. Ce constat peut expliquer les récentes conclusions de Benjamin Born, Sebastian Breuer et Steffen Elstner (2014), ainsi que celles de Dario Caldara, Cristina Fuentes-Albero, Simon Gilchrist et Egon Zakrajsek (2014), selon lesquelles les chocs d’incertitude ont joué un rôle mineur dans les fluctuations du chômage durant la Grande Récessions lorsque l’on prend seulement en compte les chocs d’incertitude agrégée. »

Sangyup Choi et Prakash Loungani (2015), « Uncertainty and unemployment: The effects of aggregate and sectoral channels », document de travail du FMI, n° WP/15/36, février. Traduit par Martin Anota



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