« Jean Pisani-Ferry, ancien directeur de Bruegel (le think tank économique basé à Bruxelles) et actuel conseiller du gouvernement français, a publié une tribune où il appelle à un surcroît de stabilité dans les estimations de la production potentielle réalisées par la Commission européenne. La raison en est simple. Les règles budgétaires de la zone euro nécessitent d’atteindre des objectifs de déficits publics ajustés en fonction de la conjoncture qui portent sur des horizons de un à deux ans. Chaque fois que les estimations de la production potentielle changent, la cible pour le déficit courant change également et la politique budgétaire doit souvent réagir immédiatement pour atteindre les nouveaux objectifs.

Pisani-Ferry comprend bien pourquoi il en est ainsi et pourquoi l’ajustement en fonction de la conjoncture fait en principe sens. Il ne conseille pas de retourner à l’époque où les cibles ignoraient le cycle d’affaires. Ce qui lui pose problème, c’est comment expliquer aux responsables politiques, qui ne sont pas économistes, pourquoi ils doivent changer leur politique budgétaire courante simplement parce que quelqu’un à Bruxelles a révisé ses estimations du PIB potentiel.

Il écrit que "les parlementaires (qui ne sont pas des techniciens) sont troublés à juste titre quand on leur demande d'adopter une révision budgétaire en raison de la modification d'une estimation. Ignorants du pourquoi et du comment, ils finissent par considérer ces révisions comme une source d'instabilité artificielle".

Cependant sa proposition fait face à une objection évidente. Considérons le scénario suivant. Pour atteindre sa cible, le gouvernement adopte un plan d’austérité qui réduit également le PIB. La Commission européenne recueille de nouvelles informations qui l’amènent à réviser à la hausse son estimation du PIB potentiel, ce qui rend moins nécessaire de consolider les finances publiques. Est-ce que la Commission doit ignorer cette information au nom de la stabilité ?

On pourrait suggérer que les "non techniciens" que sont les responsables politiques aient raison dans cette situation, mais pour une raison plus fondamentale. Les objectifs de déficit de court terme à date fixe sont une source d’instabilité et il y a plein de bonnes raisons économiques de ne pas avoir de cibles de ce genre. En substance, c’est parce que le déficit doit être un absorbeur de chocs macroéconomiques. Mais en ciblant le déficit, vous transformez les impôts ou les dépenses en absorbeur de chocs. Voici l’apparente et véritable instabilité.

Comme Jonathan Portes et moi l’affirmons, il serait mieux d’avoir des objectifs de déficit portant sur un horizon de cinq ans. Que ces objectifs soient des cibles à date fixe ou roulantes dépend du degré de solvabilité du gouvernement et de l’existence ou non d’un conseil budgétaire indépendant et robuste qui puisse fournir une « incitation de mise en œuvre » pour le gouvernement. (Nous affirmons en outre que la politique budgétaire en zone euro doit jouer un rôle contracyclique, à la fois au niveau individuel de chaque pays pour corriger les déséquilibres au sein de la zone, mais aussi au niveau agrégé si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro.)

De telles cibles doivent-elles être ajustées en fonction de la conjoncture ? Dans le contexte d’une économie ayant sa propre politique monétaire, nous dirions non, parce qu’en l’espace de cinq ans la banque centrale devrait avoir éliminé tout écart de production (output gap) (…). Il est moins clair si la correction conjoncturelle via les effets de compétitivité fonctionne aussi rapidement ; si ce n’est pas le cas, la correction conjoncturelle serait toujours nécessaire. Je pense cependant que si les objectifs ont un horizon de cinq ans, les révisions provoquées par de nouvelles estimations du potentiel seraient moins problématiques, parce qu’il serait moins impérieux de changer immédiatement la politique budgétaire. (Par exemple, lorsque l’OBR révisa son estimation du potentiel au Royaume-Uni, la réaction d’Osborne fut d’étendre dans le temps le plan d’austérité et non d’intensifier l’austérité de la période courante.)

Le point clé est qu’il est insensé d’adopter des objectifs de déficit budgétaire portant sur un horizon de un ou deux ans et que la correction en fonction de la conjoncture ne rend les objectifs qu’un peu moins stupides. J’irai même jusqu’à dire qu’ils sont primitifs en termes macroéconomiques. C’est comme dire aux consommateurs qu’ils ne doivent pas lisser leur consommation, mais plutôt faire varier leurs dépenses ou leurs revenus pour maintenir leur patrimoine à une cible fixe. »

Simon Wren-Lewis, « Cyclically adjusted deficits and instability », in Mainly Macro (blog), 9 avril 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Petit précis de règles budgétaires »