« Les pays émergents ont connu une forte croissance de l’investissement entre 2003 et 2011, interrompue seulement temporairement en 2009 en raison de la crise financière mondiale. Après avoir atteint un pic en 2011, cependant, la croissance de l’investissement a ralenti dans plusieurs de ces économies. De plus, les prévisions de croissance de la production réelle ont été significativement révisées à la baisse, principalement parce que l’investissement a été plus faible qu’attendu. Mais qu’est-ce qui explique la faiblesse de l’investissement ? Quel est le rôle des facteurs externes ? Est-ce que le ralentissement est un phénomène généralisé parmi les pays émergents ? De plus, est-ce que les récentes tendances de l’investissement peuvent être expliquées par les déterminants standards ? A quel point les responsables politiques doivent s’inquiéter à propos du récent ralentissement de l’investissement ? (...)

Quelques faits stylisés : les récentes dynamiques de l’investissement dans les pays émergents


L’investissement privé réel a présenté une forte croissance dans les pays émergents sur la période entre 2003 et 2011, sauf en 2009, lorsque la crise financière mondiale éclata. Après avoir atteint un pic en 2011, cependant, la croissance de l’investissement a graduellement ralenti. La plupart des pays émergents ont partagé la même dynamique de l’investissement, avec une forte croissance avant la crise, une forte contraction en 2009, suivie par une reprise forte et rapide, puis un ralentissement soutenu au cours des trois dernières années. Ce ralentissement fut particulièrement prononcé dans l’Europe émergente, où la croissance s’est effondrée depuis 2012, et dans la Communauté des Etats indépendants, où la croissance est devenue négative.

A l’inverse de plusieurs économies avancées, cependant, le ralentissement dans les pays émergents ne s’est pas traduit par un effondrement de l’investissement privé. Pour la plupart des ces économies, l’investissement privé s’est modéré après avoir atteint des niveaux élevés lors d’une période de croissance robuste, avec des niveaux d’investissement toujours autour de leurs niveaux d’avant-crise ou supérieurs à ces derniers. Certaines économies de la Communauté des Etats indépendants sont des exceptions, avec par exemple un récent effondrement de l’investissement privé en Ukraine et en Russie en raison à des facteurs qui leur sont propres.

La dynamique des ratios investissement sur production racontent un récit similaire. Les ratios investissement privé sur production se sont stabilisés ou ont légèrement décliné, mais ils restent généralement proches de leurs moyennes historiques ou supérieurs à celles-ci. L’Asie émergente (à l’exception de la Chine) est la région où le comportement de l’investissement privé est le plus résilient, avec des ratios supérieurs à leurs niveaux d’avant-crise malgré leur baisse au cours des deux dernières années. Dans les autres régions, à l’inverse, les ratios investissement sur PIB ont décliné et sont inférieurs à leurs niveaux d’avant-crise. Malgré tout, en Amérique latine et en Europe, ils restent supérieurs à leur moyenne de ces trois dernières décennies.

Les récentes dynamiques de l’investissement privé dans les pays émergents ont été hautement corrélées avec les dynamiques des prix des matières premières. Le co-mouvement de l’investissement privé et les prix des matières premières est tout particulièrement élevé dans le cas de l’Amérique latine, des Caraïbes et de la Communauté des Etats indépendants (avec des coefficients de corrélation de 0,84), reflétant le fait que ces régions incluent plusieurs des plus grands exportateurs nets de matières premières. Pour l’Europe émergente, la corrélation est également élevée (0,82), alors qu’elle est beaucoup plus faible pour l’Asie émergente (0,36).

De plus, pour les exportateurs de matières premières, le déclin brutal des prix des matières premières a renforcé l’idée d’un affaiblissement des pays émergents, avec les révisions à la baisse des potentiels de croissance, poussant peut-être les entreprises à réduire leurs dépenses d’investissement. Finalement, l’investissement privé dans les pays émergents a aussi été corrélé avec les afflux de capitaux.

Conclusion


Après la croissance rapide de l’investissement privé dans les pays émergents au cours des années du boom des années deux mille qui a atteint son pic au milieu de l’année 2011, il y a eu un ralentissement graduel au cours des dernières années. Dans cette étude, nous analysons les récentes tendances de l’investissement privé dans les pays émergents, afin de comprendre le récent ralentissement. Nous analysons les principaux déterminants de l’investissement des entreprises (…) dans 38 pays émergents au cours de la période 1990-2013. Nous identifions les facteurs clés sous-jacents aux décisions d’investissement des entreprises dans les pays émergents, examinons quels sont les facteurs qui ont été les principaux moteurs de la récente faiblesse de l’investissement et à quelle ampleur la relative contribution de chaque facteur a varié d’une région à l’autre.

(…) Bien que la croissance de l’investissement privée dans les pays émergents ait décliné au cours des dernières années, elle suit une période de boom et elle reste proche de ses niveaux d’avant-crise. De plus, les ratios investissement sur production restent également proches des moyennes historiques ou supérieurs à ces deniers pour la plupart des pays émergents malgré leur récente modération.

Cohérentes avec les arguments théoriques et les précédents travaux empiriques, nos régressions fournissent de robustes preuves empiriques que les entreprises dans les pays émergents accroissent les dépenses d’investissement lorsque la profitabilité future anticipée (mesurée par le Q de Tobin) est plus élevé. Les stocks et flux de dette tendent à avoir des effets opposés sur l’investissement des entreprises. Tandis que le flux de dette est positivement associé avec les dépenses en capital, le levier d’endettement est négativement associé avec elles, en particulier pour les entreprises en Asie émergente.

Nous constatons aussi des preuves empiriques suggérant un impact positif des flux de trésorerie des entreprises sur les dépenses en capital, en lien avec les résultats de la littérature existante. La sensibilité de l’investissement à la disponibilité des fonds internes suggère que les entreprises des pays émergents font face à des contraintes d’endettement.

(…) L’investissement est associé positivement aux variations des prix des matières premières à l’export, en particulier en Amérique latine, dans les Caraïbes et dans la Communauté des Etats indépendants. De plus, l’investissement des entreprises est positivement influencé par la disponibilité de financements étrangers. De plus, les afflux de capitaux contribuent à relâcher les contraintes financières pesant sur les entreprises, avec la sensibilité des investissements aux flux de trésorerie s’affaiblissant avec de plus amples entrées de capitaux. Mais d’autres caractéristiques spécifiques aux entreprises importent. Les plus grandes entreprises (…) et celles qui sont les plus intégrées aux marchés financiers internationaux présentent, en moyenne, de plus faibles contraintes financières. Le relâchement des contraintes financières lié aux afflux de capitaux est plus fort pour les entreprises produisant des biens non échangeables.

Nos résultats suggèrent que l’affaiblissement de l’investissement au cours des trois dernières années peut s’expliquer par l’évolution de ses principaux déterminants. Cependant, il y a eu une certaine hétérogénéité en ce qui concerne leur contribution relative. Le déclin brutal des prix des matières premières a été un facteur clé, en particulier en Amérique latine, dans les Caraïbes et dans la Communauté des Etats indépendants (qui incluent de grands exportateurs nets de matières premières). Une moindre profitabilité attendue des entreprises (qui reflète en partie les révisions à la baisse de la croissance potentielle dans plusieurs pays émergents) a joué un rôle important aussi. La modération des afflux de capitaux aux pays émergents, le lever d’endettement accru des entreprises et de moindres flux de trésorerie, ont aussi été des moteurs significatifs du récent affaiblissement de l’investissement des entreprises, en particulier dans l’Asie émergente.

L’affaiblissement de l’investissement privé dans les pays émergents n’a pas représenté un effondrement, mais plutôt un ralentissement après une période boom. Pourtant, les responsables politiques ne doivent pas être complaisants. Premièrement, les perspectives d’une reprise de l’investissement des entreprises ne sont pas prometteuses, comme les perspectives pour la plupart de ses déterminants restent généralement médiocres. On s’attend à ce que les prix des matières premières restent faibles, les afflux de capitaux à destination des pays émergents sont susceptibles de continuer à ralentir et les conditions financières externes vont finir par se resserrer, notamment avec la normalisation de la politique monétaire américaine. Le récent déclin des estimations de croissance potentielle pour la plupart des pays émergents est également susceptible d’être à l’avenir un frein sur l’investissement des entreprises. De plus, les ratios d’investissement sont toujours relativement faibles dans certains pays émergents, en particulier en Amérique latine et dans les Caraïbes, donc stimuler l’investissement privé reste une priorité (…). »

Nicolás Magud and Sebastián Sosa, « Investment in emerging markets. We are not in Kansas anymore…Or are we? », document de travail du FMI, n° 15/77, avril 2015. Traduit par Martin Anota



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