« La crise économiquee mondiale du début des années trente sert de référence pour évaluer la profondeur, la vitesse et l’ampleur internationale des crises économiques qui ont éclaté depuis. Il est essentiel de comprendre ses causes profondes et la manière par laquelle elle s’est diffusée pour empêcher que des événements similaires se produisent à nouveau. Cependant, non seulement les économistes ne s’accordent pas sur ses causes, mais il y a également un débat sur ce qui s’est vraiment passé, c’est-à-dire autour à propos du lieu exact où la crise a éclaté et sur la manière par laquelle elle s’est diffusée à travers le monde. (...)

La littérature portant sur la Grande Dépression s'est principalement développée en quatre vagues. La première regroupe les études réalisées par les économistes contemporains. C’est en particulier la Société des nations qui adopta une perspective comparative internationale, mais elle manqua des outils statistiques et de puissance de calcul pour étudier de larges ensembles de données à haute fréquence. Cela n’a pas changé lorsque Friedman et Schwartz (1963) ont initié les études sur la Grande Dépression américaine en affirmant que les erreurs de politique économique en étaient à l'origine. Contrairement à leurs prédécesseurs, ils utilisèrent davantage de données mensuelles pour évaluer le calendrier des événements. Cette deuxième vague d’études s’est cependant focalisée sur un seul pays et ne prit pas en compte explicitement la dimension internationale de la Grande Dépression. La troisième vague, associée à la littérature sur l’étalon-or, émergea dans les années quatre-vingt. Elle a façonné la compréhension moderne de la crise de l’entre-deux-guerres aussi bien que le champ de la macroéconomie internationale. Selon cet ensemble d’études, l’étalon-or n’a pas seulement contribué à la diffusion de la crise au niveau international, mais il contribua également à provoquer celle-ci. L’innovation méthodologique de cette littérature consista à étendre les données à plusieurs pays, ce qui améliora l’indentification économétrique des causes de la crise. Cependant, ce type d’études a ignoré une autre dimension importante des données, la dimension des fréquences temporelles. Avec une puissance de calcul toujours limitée, les ensembles de données utilisée par la littérature sur l’étalon-or reposaient sur des données annuelles, ce qui compliqua l’analyse de la diffusion de la crise, étant donnée la vitesse avec laquelle la récession s’est muée en Grande Dépression. La quatrième vague d’études correspond à une récente littérature qui a le mérite d’utiliser des données de plus haute fréquence dans un cadre international. A notre connaissance, Ritschl et Sarferaz (2014) sont les premiers à évaluer explicitement les canaux de transmission de la crise au cours des années trente de la perspective des séries temporelles. Contrairement à une idée généralement admise, ils identifient un canal de transmission financière de l’Allemagne vers les Etats-Unis. (….)

Notre étude introduit un nouvel ensemble de données de séries temporelles mensuelles sur la crise économique mondiale entre les deux guerres mondiales. Nous fournissons des indicateurs d’activité économique pour 30 pays et démontrons que les indices de production industrielle habituellement utilisés ne sont pas un bon indicateur pour évaluer les crises et les reprises. En présence de convergence non conditionnelle dans la production industrielle, ils ne sont pas comparables sans que l’on contrôle le niveau initial d’industrialisation. Par conséquent, nous développons un cadre simple, mais puissant, pour estimer les indices d’activité économique alternatifs qui soient comparables dans le temps et dans l’espace et qui ne portent pas sur la seule production industrielle. Cela nous amène à réévaluer l’impact mondial de la Grande Dépression.

Au niveau agrégé, les nouveaux indices d’activité économique mondiale indiquent que la reprise au cours des années trente fut plus lente que ce que suggèrent les précédentes études. Par conséquent, la reprise après 2008 apparaît moins décevante que le portrait qu’en dressent Barry Eichengreen et Kevin O’Rourke (2010) (…).

Notre étude apporte un nouvel éclairage sur le début de la Grande Dépression. 14 des 30 pays étudiés, notamment l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie, ont atteint leur pic d’activité au même mois que les Etats-Unis, voire même avant. De plus, la période qui précède immédiatement la Grande Dépression se caractérise par de fortes tendances récessives en-dehors des Etats-Unis, ce qui est cohérent avec l’idée d’une "longue dépression européenne" et remet en question les explications de la Grande Dépression centrées sur les Etats-Unis. (…) Nous constatons que l’Espagne a connu une longue dépression, alors même qu’elle a laissé flotter sa monnaie tout au long de l’entre-deux-guerres. De plus, en distinguant deux dimensions pour évaluer la sévérité de la Grande Dépression, en l’occurrence sa durée et les pertes cumulées, nos résultats suggère que certains pays ont connu une récession longue, mais peu sévère. Ceci peut souligner l’importance du commerce international comme canal de transmission pour la reprise, une variable fréquemment omise dans les études portant sur la reprise observée suite à la Grande Dépression. »

Thilo Albers et Martin Uebele, « The global impact of the Great Depression », LSE, economic history working paper, n° 218/2015. Traduit par Martin Anota