« Quatre mois après l’annonce du lancement du vaste programme d’achats de titres par la BCE et trois mois après le début de sa mise en œuvre effective, un certain nombre d’indicateurs envoient des signaux positifs suggérant une diminution du risque de déflation dans la zone euro.

La déflation est caractérisée par une baisse généralisée et autoentretenue des prix et des salaires qui est liée à un déficit de demande. On parle de spirale déflationniste car le phénomène s’auto-entretient, la baisse des prix engendrant un comportement attentiste des agents privés réduisant davantage la demande qui conduit à une nouvelle baisse des prix. La réduction conjointe de l’activité et des prix dégrade la solvabilité des agents endettés et entraine une hausse de l’endettement qui devient difficilement gérable. Dans ce processus, les anticipations d’inflation jouent un rôle clé puisqu’elles déterminent l’entrée et la sortie de déflation.

Quels sont les facteurs à l’origine de l’émergence du risque de déflation en zone euro ?

Conséquence de la crise des dettes souveraines, les pays périphériques ont mis en place des politiques budgétaires très restrictives réduisant nettement la demande domestique. De plus, les agents privés ont également été contraints de se désendetter ce qui a pesé davantage sur la demande. Par ailleurs, pour restaurer leur compétitivité, les pays ont mené des politiques de modérations salariales. Résultat, ils ont connu une chute de la consommation et de l’investissement et un net ralentissement des prix et des salaires. La revue des bilans bancaires de 2014 a également contribué à une réduction de la taille des bilans bancaires affaiblissant davantage le crédit. Situation s’approchant de la déflation avec le net ralentissement de l’inflation sous-jacente, à laquelle s’est ajoutée la chute du prix du pétrole à partir de l’été 2014. Le risque était alors que la faiblesse des prix soit renforcée par des effets de second tour. Les anticipations d’inflation ont commencé à décrocher à la fin de l’été 2014 renforçant significativement le risque de déflation.

Où en est-on aujourd’hui ?

Le déficit de demande, l’une des caractéristiques de la déflation, s’estompe progressivement. En effet, la croissance accélère depuis le début de l’année (+0,4% T/T au T1-2015) sous l’effet principalement d’un redémarrage de la consommation des ménages. Le desserrement des politiques budgétaires, la baisse du prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et la faiblesse des taux d’intérêt ont commencé à porter leurs fruits. Cette reprise de la demande intérieure a été accompagnée par un début de redémarrage des crédits aux agents privés au cours des derniers mois, notamment des crédits aux entreprises. Toutefois, la reprise reste encore fragile à ce stade. Si les enquêtes auprès des agents privés ont révélé une amélioration du moral des ménages et des entreprises en début d’année 2015, ces dernières restent encore prudentes.

Après un point bas à -0,6% en janvier, l’inflation a progressé pour revenir à 0% en avril. Les autres mesures de prix montrent également les premiers frémissements de retournement à la hausse : les prix de production (hors énergie) augmentent à nouveau légèrement. Les perspectives de prix des différentes enquêtes auprès des industriels et des ménages se redressent progressivement. Enfin, les autres mesures d’anticipation d’inflation montrent également des signes de raffermissement : les anticipations d’inflation 5 ans à 5 ans sont revenues à 1,8 % après un point bas à 1,48 % mi-janvier et les anticipations d’inflation des prévisionnistes à 2 ans ont aussi légèrement augmenté. Le lancement de l'assouplissement quantitatif (quantitative easing) a été concomitant à une nette hausse du prix du pétrole ces derniers mois, il est en conséquence compliqué de départager les effets de chacun de ces deux facteurs sur l’évolution des anticipations d’inflation (cf. "Le QE de la BCE a-t-il des effets sur l'inflation ?"). En tout cas, la remontée du prix du pétrole, d’un point bas à 45$ le baril mi-janvier à environ 65 dollars aujourd’hui, est un facteur important pour expliquer le rebond de l’inflation depuis février et le retournement à la hausse des anticipations. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) s’est stabilisée à un bas niveau (0,6%) et devrait rester modérée dans les mois qui viennent, avec toujours des tensions désinflationnistes liées aux différentes réformes en cours (marché du travail, déréglementations,…).

Au total, si le risque de déflation semble légèrement s’atténuer, il ne faudrait pas oublier que l’amélioration récente des perspectives reste fragile et que l’évolution (très incertaine) du prix du pétrole dans les mois qui viennent jouera un rôle important. »

Marie-Pierre Ripert, « Zone euro : le risque de déflation a-t-il disparu ? », édito de l'Eco Hebdo de Natixis, n° 19, 22 mai 2015