« (…) Au Royaume-Uni, par exemple, le comité de politique monétaire a une marge de manœuvre pour davantage réduire ses taux d’intérêt. (Je pense que la Banque d’Angleterre doit utiliser cette marge de manœuvre maintenant, mais je me pencherai sur cette question un autre jour.) Mais, comme Mark Blyth, Eric Lonergan et moi-même l’affirmons dans les pages de The Guardian, si quelque chose de sérieux se passait ces deux prochaines années ou si une autre crise financière survenait au cours des deux prochaines décennies, la politique monétaire serait sous-équipée.

Est-ce que cela signifie que je ne pense plus que ce soit une bonne idée d’adopter une relance budgétaire au cours d’une récession lorsque les taux d’intérêt nominaux sont à leur niveau plancher ? Bien sûr que je le crois toujours ! En effet, la monnaie-hélicoptère s’apparente finalement à une réduction d’impôts. Pourtant, la monnaie-hélicoptère n’est pas la forme idéale de relance budgétaire, notamment parce qu’il n’est pas certain que les ménages la dépenseront. J’estime qu’elle est moins efficace qu’un surcroît d’investissement public, comme le tendent à confirmer les analyses macroéconomiques et microéconomiques (1). Michael Spence rejoint une longue liste d’économistes importants (aux côtés de Kenneth Rogoff) estimant qu’un surcroît d’investissement public dans les pays de l’OCDE serait bénéfique.

Nous continuerions à exiger des gouvernements qu’ils ne le reconnaissent, mais nous devons accepter le fait qu’ils ne nous écouteront pas. En termes politiques, la nécessité de réduire les déficits apparaît comme la plus impérieuse. (Peut-être que les choses changent aux Etats-Unis, mais tant que les républicains ne perdent pas de pouvoir, je ne serais pas optimiste.) L’une des constats les plus désespérants que l’on puisse tirer de la victoire des conservateurs aux récentes élections au Royaume-Uni est que l’obsession du déficit semble être une stratégie gagnante, aussi longtemps que l’austérité est frontale, ce qui explique pourquoi Osborne projette de la poursuivre.

Parce que la monnaie-hélicoptère est principalement une forme de relance budgétaire et parce que la plupart des macroéconomies s’accorde pour dire que la relance budgétaire est efficace dans une trappe à liquidité, le débat autour de la monnaie-hélicoptère est essentiellement une question politique. L’insuffisance persistante de la demande entraîne de larges coûts pour la société, alors même que nous aurions pu l’éliminer rapidement. Les politiciens ne vont pas entreprendre une relance budgétaire financée par emprunt parce qu’il est plus rentable pour eux de donner crédit aux histoires effrayantes racontées à propos de la dette publique. Par conséquent, nous ne pouvons compter que sur une relance budgétaire financée par création monétaire, dont la monnaie-hélicoptère n’est qu’une forme parmi d’autres. Lorsque les banques centrales sont indépendantes, cela signifie leur donner le pouvoir d’émettre de la monnaie-hélicoptère.

Je pense que le plus grand obstacle à la monnaie-hélicoptère, ce sont probablement les banques centrales elles-mêmes. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, elles sont trop optimistes à propos de l’efficacité qu’il y a à créer de la monnaie pour acheter des actifs financiers (dans le cadre de ce que l’on appelle l’assoupissement quantitatif), alors même qu’elles vont très certainement créer davantage de monnaie qu’avec la monnaie-hélicoptère pour un résultat encore moins certain. Deuxièmement, les banques centrales craignent que si elles créent de la monnaie aujourd’hui, elles se révéleront incapables de contrôler l’inflation dans le futur, comme si un gouvernement moderne dans une démocratie avancée refuserait de leur fournir les actifs qu’elles réclament.

Le consensus parmi les macroéconomistes est que c’est une bonne idée que les banques centrales soient indépendantes. Une idée largement partagée est que la tâche de stabilisation macroéconomique est mieux réalisée si elle est déléguée. Mais rendre les banques centrales indépendantes ne suffit pas pour déléguer complètement la tâche de la stabilisation macroéconomique, en raison du problème de la borne inférieure zéro pour les taux d’intérêt nominaux. En effet, l’indépendance des banques centrales rend plus difficile de résoudre le problème de la borne inférieure (en l’occurrence l’adoption d’une expansion budgétaire financée par création monétaire). La monnaie-hélicoptère est une manière de compléter la délégation de la politique de stabilisation.

(1) J’ai déjà suggéré (notamment ici) comment nous pourrions adopter une "monnaie-hélicoptère démocratique" qui puisse nous faire bénéficier d’un supplément d’investissement public, mais je peux me contenter de la monnaie-hélicoptère sous sa forme la plus simple aujourd’hui. »

Simon Wren-Lewis, « We want helicopters, and we want them… », in Mainly Macro (blog), 22 mai 2015. Traduit par Martin Anota