« (…) Je pense qu’il y a un tel consensus dans les lieux importants. Par consensus, je ne suggère pas que tout le monde est d’accord (ce n’est pas le cas), mais qu’une très large majorité partage le même avis sur la question, ce qui s’apparente à un consensus en économie.

Malheureusement nous n’avons pas beaucoup d’informations sur ce que les économistes universitaires dans leur ensemble pensent à propos de l’austérité, mais nous avons deux importants résultats d’enquêtes qui nous éclairent sur ce point. Aux Etats-Unis, il y a le forum IGM, qui demande régulièrement à un groupe d’économies distingués (notamment plusieurs macroéconomistes) leur avis sur des questions clés de politique économique. Le dernier sondage que j’ai vu suggère que 82 % de l’échantillon pense que la relance d’Obama a permis de réduire le chômage, tandis que seulement 2 % des sondés sont en désaccord avec cette idée. Au Royaume-Uni, l’enquête CFM a posé une question similaire à un groupe plus restreint d’économistes universitaires, dont la plupart sont des macroéconomistes. Seulement 15 % des sondés sont d’accord avec l’idée que les politiques d’austérité du gouvernement de coalition ont eu un effet positif sur l’activité économique agrégée, tandis que 66 % sont en désaccord avec cette idée. Ce consensus n’est pas universel (je ne compte pas le trouver en Allemagne par exemple), mais je doute que quelqu’un soit en désaccord si je dis que les économistes américains tiennent les rêves pour tout question touchant à la macroéconomie universitaire.

C’est pourquoi les économies du monde entier continuent d’enseigner la macroéconomie keynésienne aux étudiants et, normalement, non pas comme une "école de pensée", mais plutôt comme un premier aperçu du véritable fonctionnement de l’économie. Comme Amartya Sen nous le rappelle si bien, ces cent dernières années ont donné ce rôle central à la théorie keynésienne.

Cependant nous avons une autre source de preuves empiriques, mais plus indirecte. Si vous demandez s’il existe un modèle standard pour analyser le cycle d’affaires parmi les économistes à l’université ou dans les institutions responsables de la politique économique, la réponse sera qu’il s’agit du modèle des nouveaux keynésiens. Ce sont tout particulièrement les économistes des banques centrales qui l’utilisent parce qu’ils ont régulièrement à mettre les théories du cycle d’affaires en pratique et plusieurs d’entre eux sont des nouveaux keynésiens. En ayant moi-même beaucoup travaillé avec les modèles nouveaux keynésiens, je sais aussi ce qu’ils montrent lorsque les dépenses publiques varient temporairement dans une trappe à liquidité (par exemple, voir cet article par Michael Woodford). Il est possible d’adapter ces modèles pour observer les effets de l’austérité budgétaire, mais il n’y a pas d’accords sur ces adaptations.

Les modèles utilisés par quasiment toutes les banques centrales montreraient par conséquent que des réductions temporaires des dépenses publiques nuisent à l’activité lorsque la politique monétaire n’est pas assouplie pour les compenser. Les gouverneurs des banques centrales au Royaume-Uni et aux Etats-Unis le disent publiquement. Les gouvernements de la Banque Centrale Européenne ne le disent pas et ont plutôt tendance à continuer de préconiser l’austérité malgré la déflation. La raison pour laquelle ils le font malgré ce que leur disent leurs modèles fera l’objet d’un prochain billet, mais je pense que cela a peu à voir avec la macroéconomie conventionnelle (…). Si les réductions temporaires des dépenses publiques nuisent à l’activité dans une trappe à liquidité, il s’ensuit que c’est bien mieux de retarder cette forme d’austérité.

Je pourrais rappeler certains propos des économistes du FMI (par exemple ici et encore plus récemment ici), mais aussi désormais de l’OCDE (…). Bien sûr, il y a certaines économistes universitaires qui continuent d’affirmer que l’austérité stimule l’activité ou, tout du moins, ne l’affecte que très peu. Je pense que ce sera toujours le cas, aussi longtemps que cela reste un intense débat politique. Ces économistes-là seraient rejoints par plusieurs économistes de la City, mais ces derniers (…) n’ont pas de véritable expertise sur cette question.

C’est pourquoi, parmi les économistes ayant une expertise sur le sujet, il y a une claire majorité soutenant l’idée que l’austérité budgétaire nuit à l’activité dans une trappe à liquidité. Cela ne signifie pas forcément que le resserrement de la politique budgétaire en 2010 soit erroné, ni qu’il eut un fort impact sur le Royaume-Uni entre 2010 et 2012 : il y a d’autres choses qui entrent en jeu ici dont j’ai discutées à maintes reprises. L’ampleur des dommages que peut avoir toute nouvelle mesure d’austérité d’Osborne sur l’économie dépend aussi de la présence ou non d’une trappe à liquidité. Mais le fait que l’économie puisse toujours être dans une trappe à liquidité signifie que tout plan d’austérité qui serait adopté aujourd’hui est une grosse erreur. Je crois qu’une grande majorité des macroéconomistes universitaires et des macroéconomistes travaillant dans les institutions de politique économique sont d’accord sur ce point. »

Simon Wren-Lewis, « The academic consensus on the impact of austerity », in Mainly Macro (blog), 5 juin 2015. Traduit par Martin Anota