« Dans les années qui ont précédé la crise financière mondiale, le secteur privé dans plusieurs économies avancées, notamment des pays-membres de la zone euro, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont connu une hausse du levier d’endettement dans un contexte d’anticipations optimistes de croissance et de conditions de financement favorables. La crise a démontré la fragilité de ce modèle de croissance qui repose sur le crédit et les risques pesant sur la croissance économique associés à une dette élevée. En particulier, les niveaux de dette privée élevés fragilisent les emprunteurs face aux chocs adverses, réduisent la profitabilité, accroissent le risque de prêts non performants et de faillites d’entreprises, détériorent de la qualité des actifs bancaires et accroissent plus largement le risque d’instabilité financière. De plus, lorsque les agents privés fortement endettés sont incapables de profiter des faibles taux d’intérêt lors d’une crise pour accroître leur emprunt, une dette élevée sape aussi les mécanismes de transmission de la politique monétaire. Cela compromet le nettoyage des bilans du secteur privé et freine la reprise de l’activité économique (…).

GRAPHIQUE Dette du secteur privé dans les économies avancées (en % du PIB)

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Les principaux pays avancés ont fait des progrès mitigés en termes de désendettement du secteur privé non financier. Les ménages (en particulier au Royaume-Uni et aux Etats-Unis) ont brutalement réduit leur dette brute en pourcentage du PIB, mais la dette brute des ménages est toujours élevée dans beaucoup de pays. Bien que le levier d’endettement parmi les entreprises non financières est plus faible qu’à son pic dans plusieurs pays avancés, le secteur des entreprises dans plusieurs pays de la zone euro est toujours fortement endetté (…). Aux Etats-Unis, où le levier d’endettement des entreprises est relativement faible, les entreprises ont repris leur endettement au cours des dernières années dans des conditions de financement favorables et une prise de risque financière accrue.

Les réductions des ratios d’endettement brut peuvent provenir de deux sources : le désendettement macroéconomique (grâce à la croissance économique et l’inflation) et le désendettement des bilans (à travers le remboursement ou l’effacement de dettes). Les pays qui ont été capables de générer une plus forte croissance et une plus forte inflation ont pu réduire le besoin de désendettement de bilans et réduit ainsi la contraction subséquente du crédit. Mais le processus de désendettement a été très différent d’un pays à l’autre.

Les effacements peuvent aussi jouer un rôle important pour réduire les fardeaux élevés de dette lorsque des mécanismes efficaces de réglement de dette sont en place. Le nettoyage des actifs dépréciés dans les bilans peut contribuer au désendettement du secteur privé aussi longtemps que les pays ont des mécanismes efficaces pour restructurer les dettes. Ces mécanismes permettent aux pays de limiter les coûts macroéconomiques de la restructuration de dette et de connaître une reprise rapide des flux de crédit. Un enseignement clé que l’on peut tirer de la crise est qu’il faut renforcer au plus tôt les bilans pour accroître l’impact économique et financier des politiques monétaires non conventionnelles.

L’appréciation des prix d’actifs liée aux politiques monétaires accommodantes (conventionnelles et non conventionnelles) peut aussi contribuer au désendettement. L’appréciation des actifs financiers des ménages peut aider à réduire la dette financière nette du secteur privé, même si la dette brute n’a pas varié. C’est un canal important pour la politique, en particulier pour les pays dans lesquels les achats d’actifs de la banque centrale ont aidé à réduire le taux d’intérêt sans risque. Le désendettement du côté des actifs ne s’est pas opéré dans la zone euro jusqu’à présent, mais il a joué un rôle important au Japon, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Depuis 2007, la dette financière nette des ménages et des entreprises dans ces économies a décliné d’environ 10 points de pourcentage du PIB, voire plus, grâce à la seule appréciation des prix d’actifs. Par contre, des pays de la zone euro tels que la France, la Grèce, le Portugal et l’Espagne n’ont pas autant bénéficié de ce canal jusqu’à présent.

La poursuite du désendettement macroéconomique jusqu’à 2020 peut réduire l’endettement des entreprises et des ménages, mais dans plusieurs économies il ne suffira pas pour éliminer les endettements élevés. Bien qu’il soit difficile de définir un seuil d’endettement qui soit sûr, plusieurs économies avancées majeures dont la dette s’est accrue brutalement sont toujours susceptibles d’avoir une dette supérieure plus élevée que sa moyenne d’avant-crise. Par exemple, la dette brute des entreprises en France, en Italie, au Portugal et en Espagne pourrait rester proche ou supérieure à 70 % du PIB en 2020 selon les projection actuelles de croissance et d’inflation réalisées par les Perspectives de l’économie mondiale, c’est-à-dire supérieure aux moyennes d’avant-crise et plus élevée que celle des autres économies avancées majeures. De même, selon les projections actuelles de croissance et d’inflation réalisées par les Perspectives de l’Economie mondiale, en 2020, la dette brute des ménages au Portugal et au Royaume-Uni restera relativement élevée comparée à celle des autres économies avancées majeures.

Les niveaux élevés d’endettement du secteur privé peuvent continuer à faire obstacle à la croissance et à la stabilité financière. Trois facteurs de désendettement peuvent s’avérer nécessaires : le désendettement macroéconomique (à travers la croissance et l’inflation), le désendettement des bilans (remboursement et restructuration de dette), et la réévaluation des actifs (pour l’endettement net). Un ensemble complet de politiques est nécessaire pour retourner à des niveaux de dettes plus sûrs. Premièrement, les politiques monétaires accommodantes (notamment l’assouplissement quantitatif) doivent contribuer à soutenir le désendettement du secteur privé, notamment en stimulant les prix d’actifs et en générant des effets de richesse. (…) Deuxièmement les restructurations et effacements de dettes peuvent améliorer la réponse financière et économique aux politiques monétaires non conventionnelles en débloquant le mécanisme de transmission monétaire. (…) »

FMI, « Macroeconomic versus balance sheet deleveraging: What is in the mix? », Navigating Monetary Policy Challenges and Managing Risks, Global Financial Stability Report, avril 2015. Traduit par Martin Anota



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