« Cette étude des économistes du FMI Jonathan Ostry, Atish Ghosh et Raphael Espinoza a eu beaucoup d’échos dans les médias. Je veux en parler parce qu’elle fait quelque chose d’assez rare : au lieu de se focaliser sur les questions de court terme associées à l’austérité, elle se penche sur la politique d’endettement optimale à long terme. Elle utilise aussi la théorie sur laquelle je me suis appuyé dans plusieurs de mes propres travaux.

Le principal résultat que beaucoup vont trouver surprenant est que les pays présentant ce que le FMI appelle "une marge de manœuvre budgétaire" n’ont pas du tout besoin de réduire la dette publique et, par conséquent, ils n'ont pas à entreprendre de consolidation budgétaire pour détruire la dette publique, ni aujourd’hui, ni même demain. Un Etat dispose d’une marge de manœuvre budgétaire lorsque les marchés apprécient acheter de sa dette publique et qu’il ne connaît pas une hausse de la prime de défaut qui accroîtrait le montant des intérêts (et n’est pas susceptible d’en connaître). L’étude suggère que la plupart des pays, notamment le Royaume-Uni, disposent de cette marge de manœuvre budgétaire.

Beaucoup vont trouver ce message surprenant, en particulier venant du FMI, parce que nous entendons souvent qu’une dette publique élevée est une mauvaise chose et qu’elle impose un fardeau sur les générations futures. Cependant le raisonnement utilisé est parfaitement standard dans la littérature. Pour le dire très simplement, une dette élevée impose un fardeau, parce que les impôts supplémentaires pour assurer le service de la dette génèrent des distorsions ; par exemple, les impôts sur le revenu empêchent les gens de travailler autant qu’ils le voudraient. Mais réduire la dette publique signifie aussi imposer un fardeau : les impôts sont relevés pour réduire la dette. Les comparaisons entre les ménages et les gouvernements sont trompeuses : si les individus ne vivent pas éternellement et doivent finir par rembourser leur dette, ce n’est pas le cas de l’Etat, qui peut agir comme s’il va exister indéfiniment. Nous faisons face par conséquent à un arbitrage : est-il utile d’accroitre les impôts aujourd’hui pour payer moins d’impôts à l’avenir ? (Conceptuellement, nous pouvons faire le même raisonnement avec la réduction des dépenses publiques.)

La réponse à la question dépend de deux variables clés : le taux d’intérêt réel et le taux d’actualisation : le taux auquel nous actualisons l’utilité dans le futur par rapport à l’utilité d’aujourd’hui. Dans le modèle standard utilisé par la plupart des macroéconomistes et par cette étude du FMI, ces deux variables sont égales à long terme. Si c’est le cas, alors accroître les impôts aujourd’hui pour réduire la dette et les impôts demain constitue un coût net et il est préférable de laisser la dette là où elle est. (…)

Donc supposons que l’économie subisse un "choc" de dette publique positif, provoqué par une crise financière par exemple. La politique optimale est de laisser la dette plus élevée, si les marchés apprécient d’acheter de la dette publique (c’est-à-dire s’il n’y a pas de prime de défaut additionnelle). Les coûts associés à une réduction de la dette excédent les bénéfices. Cela signifie par exemple pour le Royaume-Uni que nous ne devons pas rechercher un déficit nul, mais laisser le déficit public à environ 3 % du PIB, ce qui laisserait constant le ratio dette publique sur PIB.

Suis-je d’accord avec cette idée ? Oui et non.

Non, parce que je pense qu’il y a de bonnes raisons nous amenant à penser que le taux d’intérêt réel sur la dette est normalement un peu plus élevé que le taux d’actualisation pertinent pour le bien-être social, bien que j’admette que cette hypothèse soit aujourd’hui soumise à un véritable test (cf. le débat sur la stagnation séculaire). Si le taux d’intérêt réel de long terme excède effectivement le taux d’actualisation, il devient optimal de chercher à réduire la dette au cours du temps.

Oui, parce que même dans la situation que je considère être la plus réaliste, la dette diminue très lentement. Comme certains collègues et moi-même le montrons dans cette étude, nous pouvons parler d’une réduction de dette s’étalant sur plus d’un siècle. Donc, en ce qui concerne les débats de politique économique d’aujourd’hui, le modèle standard que j’ai utilisé dans cette étude peut être un point de départ utile.

L’étude du FMI (…) se penche sur un argument souvent avancé pour défendre l’idée d’une réduction rapide de la dette publique au Royaume-Uni : nous devons nous constituer une marge de manœuvre avant la prochaine crise. Dans les pages 12 et 13, l’étude procède à une petite analyse coûts-avantages pour montrer pourquoi cet argument est probablement erroné. L’étude n’affirme pas que la dette ne doive jamais être réduite dans les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire. Si des opportunités se présentent pour réduire la dette publique sans subir de significatives distorsions, elles doivent être saisies. (…)

En ce qui concerne les débats actuels de politique économique, le message adressé aux politiciens est clair et il m’apparaît assez robuste. Les chocs qu’ont constitué la crise financière mondiale et la Grande Récession entraînèrent une forte hausse des dettes publiques dans presque tous les pays de l’OCDE. Nous ne devons pas nous précipiter pour essayer de ramener le ratio dette sur PIB à son niveau d’avant-crise. Cela signifie que nous pouvons certainement nous permettre d’attendre jusqu’à ce que les taux d’intérêt commencent à s’élever, puisque la politique monétaire pourra alors compenser l’impact de toute consolidation budgétaire sur l’activité. L’argument en faveur d’une réduction immédiate de la dette publique n’a aucun fondement dans la théorie macroéconomique standard. »

Simon Wren-Lewis, « The latest IMF paper on debt », in Mainly Macro (blog), 6 juin 2015. Traduit par Martin Anota



Aller plus loin… lire « Quand les gouvernements doivent-ils réduire leur dette ? »