« "Les preuves empiriques soutenant la vision keynésienne sont très mitigées. La plupart des économistes l’épousent ou la rejettent en fonction de leurs seules croyances idéologiques. Krugman est keynésien parce qu’il désire un plus gros gouvernement. Je suis anti-keynésien parce que je veux un plus petit Etat."

Des affirmations comme celles-ci nous apprennent beaucoup de choses sur ceux qui les prononcent. Comme affirmations expliquant pourquoi les gens nourrissent telle ou telle conception macroéconomique, elles ne tiennent pas la route. Bien sûr, il y a un biais de confirmation et un biais idéologique, mais comme le terme “biais” le suggère, ça ne signifie pas que les preuves empiriques n’ont pas d’impact sur les idées de la majorité des universitaires.

L’idée d’un grand ou d’un petit gouvernement ne fait pas sens sur le plan théorique. Pourquoi vouloir un plus grand Etat ferait de quelqu’un un keynésien ? Plusieurs keynésiens, et notamment la plupart des nouveaux keynésiens, pensent aujourd’hui que c’est la politique monétaire qui doit être utilisée pour stabiliser la demande globale dès lors qu’elle le peut. Ils pensent aussi que toute relance budgétaire fonctionne, ou du moins fonctionne le plus efficacement, si elle implique des hausses temporaires des dépenses publiques. Donc être keynésien n’est pas une manière très efficace d’obtenir un plus large Etat.

Evidemment, c’est aussi faux au niveau empirique. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, une large majorité d’économistes semble partager des vues keynésiennes. Je ne pense pas que la majorité désire un grand Etat. Je pense plutôt que beaucoup de keynésiens n’en veulent clairement pas. Les modèles des banques centrales sont typiquement keynésiens. Est-ce que cela signifie que les banques centrales désirent un Etat plus imposant ? Non, cela signifie juste que les preuves empiriques suggèrent que l’économie keynésienne fonctionne.

Russ Robert a dit plus récemment que "les preuves empiriques sont un grand bazar qui vous donne la possibilité de choisir ce qui conforte votre vision du monde, que ce soit idéologique ou philosophique ou que ce soit juste cohérent avec votre idée de l’économie".

Ryan Bourne de l’Institut des Affaires économiques va encore plus loin en disant que "lorsque les faits changent, les keynésiens ne changent pas leurs idées".

Pour illustrer leur affirmation selon laquelle les keynésiens ignorent les faits dérangeants, les deux auteurs prennent l’exemple de la croissance américaine après le séquestre (sequester) budgétaire de 2013. (D’après mon expérience, les anti-keynésiens tendent à ignorer les séries de données et en particulier l’économétrie et ils préfèrent les arguments du genre "ils disent que cela devait arriver et ce n’est pas arrivé", en particulier si ce "ils" désigne Paul Krugman.) Le problème est que cet épisode illustre précisément l’opposé : que les anti-keynésiens sont si désireux de trouver quelque chose qui apparaît en conflit avec les idées keynésiennes qu’ils échouent à faire une analyse simple et ils ignorent ceux qui en entreprennent une.

Dans ce billet, j'observais juste les données et réalisai quelques calculs simples pour montrer que cet épisode fut assez cohérent avec l’analyse keynésienne de la politique budgétaire. Je suis sûr que les autres en ont fait de même. Mais une telle analyse est tout simplement ignorée : ils ont une histoire qui semble se tenir et c’est tout ce qui importe pour eux. (…)

Pourquoi avons-nous à répéter, encore et encore, que la claire majorité des études montre que la relance d’Obama fonctionna. Pourquoi avons-nous toujours à expliquer pourquoi la croissance du Royaume-Uni en 2013 ne prouve pas que l’austérité fonctionne ? Pourquoi ces gens ne mentionnent jamais le fait que les méta-analyses soutiennent l’analyse keynésienne basique de la politique budgétaire ? Parce qu’ils veulent se convaincre que "les preuves empiriques sont un grand bazar" afin de pouvoir continuer de tenir leurs positions anti-keynésiennes.

Beaucoup des partisans de la droite politique ont toujours eu un profond problème idéologique avec l’analyse keynésienne. Comme Colander et Landreth le décrivent, le premier manuel keynésien à être publié aux Etats-Unis fut banni. Les économistes nouveaux classiques, même si elles apportèrent des contributions positives à la macroéconomie (aux yeux de la plupart des nouveaux keynésiens), essayèrent également de détrôner l’analyse keynésienne et ils échouèrent.

Quand les anti-keynésiens vous disent que l’adhésion à la macroéconomie keynésienne (ou son rejet) dépend des croyances personnelles quant à la taille de l’Etat, ils éclairent finalement la provenance de leurs propres conceptions. Quand ils vous disent que chacun ignore les preuves empiriques qui sont en conflit avec sa vision des choses, ils vous disent comment ils traitent les preuves empiriques. Et le fait que certains à droite embrassent cette position vous indique pourquoi les vues anti-keynésiennes continuent de survivre malgré les preuves empiriques accablantes en faveur de la théorie keynésienne. »

Simon Wren-Lewis, « Speak for yourself, or why anti-Keynesian views survive », in Mainly Macro (blog), 17 juin 2015. Traduit par Martin Anota