« Qu’importe ce que j’écrive à propos de la Grèce, beaucoup des commentaires publiés en réponse à mes billets (peut-être pas la majorité) peuvent être résumés ainsi : comment peut-on soutenir la Grèce, alors que son économie est si inefficace et ses gouvernements si incompétents et après tout ce que nous avons fait pour eux ? Je ne me fais pas d’illusions à propos des inefficacités et de la corruption qui sont endémiques dans l’économie grecque. Et je ne veux pas non plus devenir l’apologiste d’un quelconque gouvernement grec.

Ce qui me semble très trompeur, c’est l’idée que les décideurs européens aient déjà été généreux envers la Grèce. La croyance générale est que la Grèce aurait été dans une pire situation si elle n’avait pas embrassé l’austérité. Ceci semble simplement faux. Si les responsables politiques européens ont été généreux envers quelqu’un, c’est envers les créanciers du gouvernement grec et notamment les banques de divers pays européens ou autres.

Imaginons ce qui se serait passé si les décideurs de la zone euro n’avaient effectivement rien fait, laissant les choses suivre leur cours lorsque les marchés commencèrent à s’inquiéter sérieusement à propos de la dette publique grecque au début de l’année 2010. Cela aurait entraîné un défaut immédiat et amené le gouvernement grec à demander l’assistance du FMI. (En réalité, à la fin de l’année 2009, les autorités de la zone euro indiquèrent que l’assistance financière apportée le Fons n’était "ni appropriée, ni bienvenue"). Dans ces circonstances, étant donné que le FMI ne dispose que de ressources limitées, l’Etat grec aurait fait défaut sur la totalité de sa dette.

Si cela avait été le cas, le programme d’assistance du FMI (dont le montant initial s’élevait à environ 30 milliards d’euros, mais auquel devaient s’ajouter 12 autres milliards d’euros au cours des années suivantes) aurait permis de couvrir les déficits primaires que la Grèce généra en essayant d’atteindre l’équilibre primaire. Ces 42 milliards d’euros sont très proches de la somme des déficits primaires que la Grèce a accumulés depuis 2010 (et qui comprennent notamment le coût de la recapitalisation des banques grecques).

Cela signifie que l’intervention des gouvernements européens n’a pas du tout aidé la Grèce. Avec le seul soutien du FMI, la Grèce aurait subi le même degré d’austérité qu’elle a effectivement subi. Le supplément d’argent fourni par les autorités européennes a été utilisé pour rembourser les créanciers de la Grèce, tout d’abord en retardant le défaut en 2010 et en 2011, puis en ne permettant qu’un défaut partiel en 2012. (…)

Il est assez évident pourquoi les autorités européennes étaient si généreuses envers les créanciers de la Grèce. Ils étaient inquiets d’une éventuelle contagion (…). Le FMI était d’accord pour mettre en œuvre ce programme avec défaut partiel, même si son équipe de chercheurs était incapable de certifier que la dette publique grecque restante serait soutenable (FMI paragraphe 14).

Le point clé est que les autorités européennes et la FMI avaient tort. La contagion a tout de même eu lieu et elle ne prit fin que lorsque la BCE s’accorda pour mettre en œuvre le programme OMT (c’est-à-dire accepta enfin de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort aux Etats). Ce fut une erreur majeure de la part des décideurs politiques : ils "gâchèrent" de larges montants d’argent en essayant de stopper quelque chose qui survint de toute manière. Si les gouvernements de la zone euro avaient tout aussi inutilement dépensé autant d’argent ailleurs, leur électorat aurait mis profondément en doute leur compétence. Si les choses ne se sont pas passées ainsi, c’est parce qu’il a été facile de se décharger de cette erreur. Les politiciens et les médias ne cessent de répéter que l’argent a été utilisé pour renflouer la Grèce et non les créanciers de la Grèce. Si l’argent ne revient pas, c’est alors de la faute des gouvernements grecs ou du peuple grec. Il est lamentable que les divers gouvernements grecs, du moins jusqu’à récemment, aient accepté de donner crédit à cette vision des choses, bien qu’ils pourraient toujours répondre qu’on ne leur donnait que peu de choix. (On pourrait se demander un peu plus cyniquement combien il y avait de riches Grecs parmi les créanciers.)

La tromperie a désormais atteint son point d’orgue. Ce qui devait être par essence une association coopérative pour remettre la Grèce sur ses pieds le plus rapidement possible est devenu une véritable saga de confrontations. Si l’on pense que tout cet argent est allé entre les mains des Grecs et qu’ils en ont besoin toujours plus, alors on trouve naturel qu’un nouveau geste de "générosité" n’est possible qu’en contrepartie de (…) nouvelles mesures d’austérité. Parmi la Troïka, les partisans de la ligne dure peuvent amuser la galerie en se montrant fermes, peut-être en croyant qu’ils finiront bien par être supplantés par des voix plus sensées. Le problème avec cette saga est similaire au problème qu’il y a à imposer de nouvelles mesures d’austérité : vous endommagez l’économie que vous êtes supposé aider. (Certains ont une interprétation plus sinistre de ce qui est en train de se passer en suggérant qu’il s’agit d’imposer un changement de régime en Grèce.) (…) »

Simon Wren-Lewis, « The Eurozone’s cover-up over Greece », in Mainly Macro (blog), 18 juin 2015. Traduit par Martin Anota