« J’ai passé beaucoup trop de temps à tuer des zombies. C’est ainsi que Paul Krugman appelle les idées ou faits allégés qui, malgré le fait qu’ils se soient révélés faux à maintes reprises, continuent de revenir à la vie. Parmi les mythologies anti-keynésiennes, le zombie que j’ai passé mon temps à tuer est l’idée que la croissance en 2013 au Royaume-Uni démontrerait l’efficacité de l’austérité budgétaire, mais je me suis aussi attaqué à l’idée erronée que la croissance américaine en 2013 démontrerait que les multiplicateurs keynésiens sont nuls. (…) Mais il s’agit d’épisodes concernant des pays en particulier. Que peut-on dire de la vue d’ensemble ?

J’ai récemment utilisé le traceur de données du FMI et celle-ci permet d’obtenir le graphique suivant de la croissance du PIB dans les pays avancés :

GRAPHIQUE 1 Taux de croissance du PIB des pays avancés (en %)

Simon_Wren-Lewis__FMI__croissance_PIB_pays_avances_developpes__Martin_Anota_.png

Il y avait une faible croissance au début des années quatre-vingt, puis elle s’est accélérée et a atteint environ 4 % au cours des années suivantes. Le début des années quatre-vingt-dix fut également une période de faible croissance, mais elle fut suivie par une période de croissance à environ 3 %. Idem pour les années deux mille. Enfin, nous avons subi la Grande Récession de 2009, suivie par une croissance de 3 % en 2010. Mais ensuite, la croissance fut inférieure à 2 %, ce qui aurait pu être considéré comme un retournement au regard de l’expérience passée.

Pourquoi la récente reprise a-t-elle été si pathétique ? Il y a une explication simple, entièrement conventionnelle, qui colle tout à fait avec le calendrier : l’austérité budgétaire. Comme je l’ai montré ici, la croissance après 2010 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro auraient été plus proche des précédentes reprises s’il n’y avait pas eu une réduction de la consommation et de l’investissement publics.

Bien sûr, il y a d’autres explications. La plus évidente est que les reprises suite aux crises financières sont par nature plus faibles et plus longues que les reprises observées après une récession "normale". Cependant, (…) cette explication-là n’est pas incompatible avec l’explication par l’austérité. Dans une récession, les dépenses publiques et les dépenses privées en biens et services ne sont pas en concurrence, donc même si les dépenses privées sont faibles en raison de difficultés dans l’obtention de financement, l’austérité prenant la forme de réductions des dépenses publiques va toujours réduire le PIB. De plus, l’incapacité des consommateurs à emprunter peut amplifier l’impact de la réduction des prestations sociales ou de la hausse d’impôts.

GRAPHIQUE 2 Taux de variation des prix à la consommation dans les pays avancés (en %)

Simon_Wren-Lewis__FMI__inflation_prix_a_la_consommation_pays_avances_developpes__Martin_Anota_.png

La seule explication théoriquement plausible qui pourrait expliquer pourquoi une (…) réduction de la consommation et de l’investissement publics réduise pas la production lorsque l’économie connaît une récession provoquée par une insuffisance de la demande globale serait que la banque centrale assouplisse sa politique monétaire pour compenser ces réductions. Cette explication suggérerait que la faible croissance que nous avons connue suite à la récession est un choix délibéré de la part des autorités monétaires, mais elle apparaît de moins en moins plausible au fur et à mesure que les jours passent. Voici ci-dessus l’évolution du taux d’inflation des prix à la consommation d’après les données du FMI. Tandis que l’inflation tourna autour de 2 % durant la Grande Récession, elle fut inférieure à 1,5 % en 2013 et en 2014, puis proche de zéro en 2015. »

Simon Wren-Lewis, « The big picture », in Mainly Macro (blog), 25 juin 2015. Traduit par Martin Anota