« Le FMI a publié hier une analyse préliminaire sur la soutenabilité de la dette du gouvernement grec. Le fait qu'elle ait été publié quelques jours avant la tenue du référendum grec a suscité de nombreuses interprétations sur ses conclusions. Le gouvernement grec a rapidement déclaré que les résultats confirment que la dette publique grecque est insoutenable et qu’un allègement (haircut) substantiel de la sa dette est nécessaire.

Est-ce que l’interprétation du gouvernement grec est correcte ? Oui et non. L’analyse du FMI suggère que sous des hypothèses raisonnables à propos de la croissance économique et des taux d’intérêt, il est très difficile d’imaginer une trajectoire d’excédents budgétaires primaires qui rende la situation actuelle soutenable. C’est ce que le gouvernement grec dit. En ce sens, il semble que le FMI offre un appui empirique à ses affirmations. Cependant l’analyse est truffée de petites subtilités qui n’accréditent pas forcément une telle conclusion et qui contredisent même les propos du gouvernement grec sur certains poins.

Premièrement, le rapport confirme que depuis l’accession de Syriza au pouvoir, la situation grecque s’est détériorée en raison d’un ralentissement de la croissance, d’un tarissement des recettes tirées des privatisations et d’une détérioration des soldes budgétaires. Donc le FMI semble ici appuyer la vue allemande selon laquelle la situation serait meilleure si les bonnes politiques étaient appliquées. La nécessite d’un allègement de la dette publique est en partie de la responsabilité du gouvernement grec actuel.

Deuxièmement, il n’y a rien de nouveau dans l’analyse du FMI et presque tout le monde s’accorde à cette idée, notamment les autres partenaires européens. La vraie question qui se pose (et c’est bien sur elle qu’il pourrait y avoir quelques désaccords) est sur la manière par laquelle faire face avec un niveau insoutenable de dette. C’est ici que les subtilités apparaissent.

Retournons un peu dans le temps. En 2012, il était clair pour beaucoup que la dette publique grecque était sur une trajectoire insoutenable. C’est pour cette raison que les partenaires européens et les créanciers s’accordèrent à une réduction de la valeur faciale, à un allongement des maturités, ainsi qu’à une réduction du taux d’intérêt réduisant implicitement la valeur des passifs grecs. On peut débattre de l’ampleur de cette réduction de la dette, mais elle pourrait s’élever à environ 10 milliards d’euros.

Mais cette première restructuration n’était clairement pas suffisante. Qu’est-ce qui a cloché ? La croissance n’est jamais revenue ; en fait, l’activité économique a continué de se contracter, si bien que toutes les hypothèses faites par la Troïka au moment des négociations se révélèrent excessivement optimistes. Pourquoi la croissance ne se conforma pas aux hypothèses retenues ? D’une part, parce que la Troïka a sous-estimé les répercussions de l’austérité budgétaire sur l'activité (en Grèce, mais aussi ailleurs). D’autre part, peut-être aussi parce que certaines des réformes attendues n’ont pas été adoptées ou bien n’ont pas généré les gains attendus.

Que dire des perspectives futures ? Pouvons-nous être plus réalistes au regard des perspectives de croissance en Grèce ? C’est ce que le FMI cherche à faire maintenant. Il prévoit que la croissance grecque sera de 1,5 % à long terme. Je pense que c’est une estimation pessimiste (mais pas irréaliste). Elle suggère qu’un pays dont le PIB par tête est inférieur de moitié à celui de la plupart des économies avancées va échouer à converger vers ce dernier, mais qu’il devrait rester à ce niveau, voire même diverger.

C’est ici où les projections du gouvernement grec et du FMI peuvent être aux antipodes l’une de l’autre. Le gouvernement grec pense qu’une fois la dette grecque allégée et toutes les réformes mises en œuvre, l’économie grecque va redécoller et croître à nouveau. Mais si la croissance revient, est-ce que la dette est réellement insoutenable ? La dette grecque est insoutenable parce que l’économie grecque ne va pas croître à long terme (et ce n’est pas juste en conséquence de l’austérité). Mais si le gouvernement grec a raison et si la réduction de la dette élève en effet la croissance potentielle de la Grèce, alors le niveau de dette actuel peut être plus soutenable que ce que le FMI dit. En d’autres termes, le FMI dit au gouvernement grec quelque chose qu’il désire entendre (la dette publique doit être réduite), mais dans un scénario que le gouvernement grec ne peut accepter (la croissance sera décevante pendant plusieurs décennies).

Une manière de sortir de cette incohérence est de rendre le défaut fonction du taux de croissance du PIB. Cela revient à la vieille idée d’indexer la valeur de la dette (ou le taux d’intérêt) à la croissance économique (Paolo Mauro offre ici une bonne description de ses vertus). Si le gouvernement grec a raison et si les perspectives de croissance sont très bonnes, alors les créanciers vont retrouver beaucoup de ce qu’on leur doit. Mais si le FMI a raison et si la croissance grecque va rester faible au cours des prochaines décennies, alors les créanciers vont obtenir beaucoup moins (…). »

Antonio Fatás, « Did the IMF provide support to Syriza? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 3 juillet 2015. Traduit par Martin Anota