« Certes le PIB grec a chuté de 25 % en 4 ans, le chômage a augmenté et atteint 25 % et le chômage des jeunes 50 %, mais avant l’élection de Syriza le PIB grec avait en fait arrêté de se contracter. De nouvelles mesures d’austérité budgétaire étaient prévues, si bien que la Grèce pouvait commencer à payer des intérêts sur son énorme dette publique. Les réformes prévues étaient évidemment dans les intérêts de l’économie grecque. Les prévisions officielles suggéraient que l’économie grecque allait recommencer à croître à un rythme suffisamment rapide pour stopper la hausse du chômage. Qui sait, dans une décennie, il aurait même pu chuter sous 20 %.

Mais il y eut soudainement le désastre. Le peuple grec gâcha tout en élisant un gouvernement qui proclamait qu’il pouvait y avoir une alternative à tout ça. Bien sûr, on ne peut pas rejeter la faute sur le peuple grec : comment peut-il comprendre qu’il n’y a pas d’alternative à ses souffrances ? Les vrais responsables, ce sont les politiciens "populistes" qui prétendaient qu’il pouvait y avoir une alternative. Les négociateurs si patients et compréhensifs de la Troïka eurent alors à négocier avec des "idéologues adolescents" qui étaient prêts à utiliser la souffrance des Grecs comme moyen d’atteindre leurs propres fins politiques. (…)

Beaucoup voient vraiment les choses ainsi (…). L’hypocrisie de certains commentaires sur la Grèce est effroyable. Quand l’"idéologue adolescent" Tsipras montre sa maturité en tant que chef d’Etat en se préparant à faire des compromis afin d’obtenir un accord, il est accusé d’être incohérent et de divaguer. Quand les personnes avec lequel il négocie le poussent à en faire davantage qu’il n’est prêt à faire, il est accusé d’"amener la Grèce au bord du précipice" en ayant la témérité de demander au peuple grec de choisir. (Tout politicien mature sait que dans une Europe moderne vous faites seulement appel à un référendum lorsque vous êtes sûr d’obtenir la réponse que vous voulez et que cela ne vous amène pas à en ignorer le résultat pour appeler à un autre référendum.) Monsieur Tsipras est accusé d’oublier que les autres nations ont, elles aussi, des régimes démocratiques, comme si la Troïka avait présenté un profond respect pour la démocratie en agissant comme si rien n’avait changé avec l’élection de Syriza.

L’OCDE estime que l’écart de production en Grèce est actuellement bien supérieur à 10 %. Cela signifie que les personnes actuellement au chômage auraient pu produire quelque chose d’utile et que le PIB peut facilement s’accroître d’au moins 10 % sans générer d’inflation. (Le taux d’inflation est actuellement d’environ – 2 %.) Cela ne serait pas seulement dans les intérêts de la Grèce, mais aussi dans les intérêts de ses créanciers. C’est une manière de générer les excédents primaires que la Troïka désire sans infliger davantage de souffrances aux Grecs. C’est également indéniable que de nouvelles mesures d’austérité tendraient à réduire le PIB, de la même manière que les précédentes l’avaient fait. Donc chacun serait dans une meilleure situation si on laissait un peu respirer la Grèce, c’est-à-dire si nous laissions enfin son économie renouer avec la croissance. Mais c’est apparemment puéril de vouloir négocier pour que ce soit le cas.

Pourquoi est-il impossible pour la Troïka d’accepter un tel accord ? Elle affirme que ses propres démocraties ne le permettraient pas, mais c’est être bon politicien de faire des compromis lorsque ces compris sont dans l’intérêt de chacun. Je pense que cet argument est dans certains cas un écran de fumée, surtout lorsque l’on voit ce qui a pu être demandé à Tsipras. Il y a un schéma ici. Lorsqu’il était impossible pour la BCE d’agir comme prêteur en dernier ressort aux Etats, la seule réponse était un surcroît d’austérité, jusqu’à ce que cette austérité soit mise en place et que l’OMT devienne possible. Quand le gouvernement français essaya d’atteindre ses objectifs de déficit en élevant des impôts plutôt qu’en réduisant les dépenses publiques, on lui dit que ce n'était pas la bonne austérité à adopter. Beaucoup ont rejeté l’idée d’un assouplissement quantitatif car ils jugent qu’il réduirait les incitations des gouvernements à embrasser l’austérité et à adopter des "réformes". Donc, ce n’est peut-être que lorsque le gouvernement formé par Syriza aura échoué et que son successeur acceptera davantage d’austérité et de réformes qu’il s’avérera que la Troïka peut effectivement faire preuve de flexibilité à propos de la restructuration de dette.

L’une des accusations fréquemment portées à l’encontre des opposants de l’austérité dans la zone euro est qu’ils chercheraient à faire échouer le projet de l’euro. L’inverse est certainement plus proche de la vérité. Le problème avec le projet de l’euro est qu’il a été véritablement capturé par une idéologie économique et que l’austérité est la principale arme de cette idéologie. Une zone euro qui serait mature et qui aurait véritablement confiance en elle serait capable de tolérer la diversité, plutôt que d’essayer d’écraser toute dissidence. Une zone euro capturée par cette idéologie va marteler qu’il n’y a qu’une seule voie possible et que l’impératif de l’austérité est trop important pour tenir compte de la volonté démocratique des citoyens. Cette idéologie amène la zone euro au bord du précipice en s’apprêtant à mettre à la porte l’un de ses membres non coopératifs. Les critiques de l’austérité n’essayent pas de détruire la zone euro, mais de la sauver des griffes de cette idéologie autodestructrice. »

Simon Wren-Lewis, « The ideologues of the Eurozone », in Mainly Macro (blog), 3 juillet 2015. Traduit par Martin Anota



« Quand les gouvernements empruntent de trop et qu’ils ne peuvent plus rembourser leur dette, il se tournent généralement vers le FMI pour régler les choses. En jouant ce rôle, le FMI aurait dû être ferme face aux créanciers. Comme Interfluidity le souligne si remarquablement, c’est là où réside le véritable aléa moral.

Donc qu’est-ce qui s’est mal passé avec la Grèce ? Rappelez-vous que la Troïka fit une grande erreur en utilisant l’argent de ses citoyens pour prêter à la Grèce, afin que celle-ci puisse rembourser en partie les créanciers du secteur privé ; c’est bien vers ces derniers que l’essentiel de l’argent de la Troïka s’est retrouvé. La propre analyse du FMI fut profondément erronée (dans la mesure où elle sous-estima fortement l’impact de l’austérité sur l’économie grecque) et même l’accord échoua à son propre examen, donc une dérogation spéciale était nécessaire.

(…) Beaucoup des créanciers étaient des banques européennes, donc les motifs derrière leur renflouement étaient, pour le moins que l’on puisse dire, quelque peu conflictuels. Le FMI fut néanmoins persuadé d’avoir à agir comme il le fit en raison des craintes de contagion. Pourtant, s’il craignait une contagion sur les marchés de la dette souveraine, c’était à la BCE d’y mettre un terme en jouant enfin son rôle de prêteur en dernier ressort aux Etats (chose qu’elle finit par faire avec son programme OMT). Si le FMI craignait un effondrement du système bancaire européen, alors son sauvetage était de la responsabilité des gouvernements concernés et non du peuple grec.

(…) Oubliez tout ce que vous pouvez lire dans la plupart des articles sur le sujet. (…) Un accord aurait pu être trouvé si la Troïka avait laissé la possibilité d’une restructuration de la dette. Tout comme la plupart des économistes, le FMI confirme que la dette doit être restructurée. (…) Il n’a pas pour autant changé de comportement vis-à-vis du reste de la Troïka lors des négociations. Donc la Troïka écarta la possibilité d’une restructuration de la table des négociations : de vagues promesses de parler d’une éventuelle restructuration après la signature d’un accord ne suffisaient pas pour que Syriza accepte cet accord. Il y a deux raisons expliquant pourquoi l’Allemagne n’a pas voulu mettre cette option sur la table des négociations. La première est qu’elle n’a jamais voulu à ce qu’il y ait un accord ; la seconde est qu’il aurait été politiquement embarrassant pour les politiciens allemands d’introduire cette question lors des renégociations.

Le FMI n’avait pas à partager l’une ou l’autre de ces inquiétudes. Il aurait dû se montrer ferme face aux créanciers, en l’occurrence face aux institutions européennes. Il disposait clairement du pouvoir politique pour faire incliner les gouvernements européens sur la question de la restructuration. S’il l’avait fait, un accord aurait été trouvé. La seule conclusion que je peux tirer est que le FMI a été capturé par le reste de la Troïka (1) (2) (3). Comme Ashoka Mody le suggère, il s’est fait piéger par les priorités de certains actionnaires, notamment par le Royaume-Uni et l’Allemagne au cours des dernières années.

(1) Peter Doyle a aussi noté comment les interventions du FMI sur les "réformes" essentielles sont douteuses, tant sur le plan économique que politique. (Si ce rapport est exact, c’est même encore pire.) Alors même que plusieurs de ses membres semblent comprendre les multiplicateurs keynésiens (voir (2) ci-dessous), ceux en charge des négociations semblent avoir embrassé une vue allemande. (…)

(2) L’une des raisons justifiant qu’il est dans la tâche du FMI d’être dur envers les créanciers est que les créanciers ne s’inquiètent pas du bien-être social, c’est-à-dire du bien-être de l’ensemble des agents, c’est-à-dire eux-mêmes, mais aussi les emprunteurs. (…) Comme ce point n’est pas abordé dans les médias, penchons-nous un peu dessus (les chiffres se basent sur les chiffres d’un article de Martin Sandbu dans le Financial Times). Pour générer un excédent primaire de 1 % du PIB qui serait transféré à la Troïka, les gouvernements grecs doivent adopter des mesures d’austérité qui vont réduire le PIB grec de 3 % (en supposant un multiplicateur de 1,5…). Cette réduction du PIB est une perte sociale (la perte de l’économie grecque est de 3 % du PIB, auxquels s’ajoute le transfert de 1 %). C’est au mieux un pur gâchis et probablement pour certains la cause de beaucoup de souffrance.

(3) Voici ce que disait l’ancien chef du département européen du FMI sur la nécessité d’une restructuration de la dette et sur les dangers qu’il y a à exiger de plus larges excédents primaires à la Grèce.

Simon Wren-Lewis, « Greece and the political capture of the IMF », in Mainly Macro (blog), 4 juillet 2015. Traduit par Martin Anota