« L’accord entre la Grèce et ses partenaires de la zone euro contient de nombreuses politiques très détaillées qui devront être approuvées par le gouvernement grec au cours des prochains jours. Comment sommes-nous arrivés à une situation où les politiques domestiques d’un pays-membres sont décidées par d’autres pays ? J’ai récemment écrit un document de travail sur l’agenda des réformes européennes où je discute du rôle de l’Europe dans le processus de réformes. Voici certaines remarques que j’y ai dressées et qui m’apparaissent très appropriées pour ce dont nous sommes les témoins depuis quelques jours.

Historiquement, l’Europe a servi comme catalyseur pour les réformes dans certaines des économies les moins avancées de l’Union européenne. A travers les exigences qu’elle impose aux pays désirant joindre certaines initiatives européennes, elle a alimenté suffisamment de consensus social autour de la nécessité de faire des compromis. Par exemple, elle s’avéra efficace bien pour transformer et standardiser les institutions macroéconomiques des pays européens, en particulier en ce qui concerne la politique monétaire et l’inflation.

Mais ces dynamiques ne sont pas toujours productives. La réforme est en définitive une affaire politique domestique où des arbitrages doivent être opérés entre l’efficience économique, les buts sociaux et la manière par laquelle le pouvoir et le revenu sont répartis au sein d’une société. Prendre toujours l’Europe comme la principale raison justifiant l’adoption de réformes est susceptible d’entraîner des dynamiques malheureuses. En plus, il n’est pas toujours facile de lier les réformes aux bénéfices de l’intégration européenne.

La seule manière de changer ces dynamiques serait à travers une approche des réformes plus contractuelle et ex ante. Ce fut en partie l’esprit des réglementations du Traité de Maastricht qui établirent les règles de comportement qu’un pays doit suivre lorsqu’il est membre de la zone euro. Mais, comme l’expérience l’a montré, ces règles ne furent pas applicables. Les règles ne fonctionnèrent bien que comme conditions d’entrée, mais une fois que les pays entrent dans la zone euro les règles s’affaiblissent. Les règles ont été renégociées, changées et violées en diverses reprises. Pourquoi ne pas rendre les conditions d’entrée encore plus contraignantes ? Malheureusement, si l’on demande aux pays de se réformer ou d’adopter des engagements irréversibles avant de joindre tout processus d’intégration européenne, il y aura peu de membres dans l’Union européenne ou la zone euro.

Nous devons également être réalistes. L’Europe doit trouver une manière de gérer les pays et gouvernements qui ne veulent pas poursuivre le processus de réforme ou qui se révèlent incapables de le faire. Au final, le rythme de mise en œuvre des réformes reste à la discrétion de chaque pays. Ses citoyens sont ceux qui vont souffrir des conséquences de l’absence de réformes et de la faiblesse de la croissance. C’est vrai pour tout pays, avancé ou en développement, et c’est vrai pour l’Europe.

Le débat sur la réforme est plus visible et pertinent dans le contexte européen que dans toute autre économie avancée qui luttent avec des problèmes similaires de performance économique, car le processus d’intégration européen peut occasionnellement forcer les pays à agir ensemble. Quand vous partagez des risques via le bilan d’une banque centrale ou quand vous concevez un programme de transferts des régions riches vers les régions pauvres, l’agenda des réformes devient plus une question supranationale qu’un pur débat national. Peut-être que l’Europe doit trouver des manières de séparer les deux. Soit à travers une approche plus contractuelle aux institutions qui ne laisse pas de marge pour davantage de négociations (par exemple une vraie clause de non-renflouement) ou en changeant la conception de ces institutions de manière à ce que les liens entre les pays et les risques partagés soient réduits au maximum ("moins d’Europe"). Cela peut être sous-optimal dans la mesure où cela peut avoir comme coût une réduction de l’efficacité de ces institutions, mais est être pourtant la seule manière de rendre compatibles le processus d’intégration européenne et les réformes économiques.

En résumé, peut-être que "plus d’Europe" n’est peut-être pas toujours la solution à tous les problèmes économiques de l’Europe. »

Antonio Fatás, « Micromanagement of European reforms », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 13 juillet 2015. Traduit par Martin Anota