« La croissance globale de la productivité peut essentiellement refléter deux grands facteurs : d'une part, bien évidemment, le progrès technique et l'accroissement quantitatif et qualitatif du capital humain et physique dans les différents secteurs ; et, d'autre part, la réallocation du capital et de la main-d'œuvre des secteurs peu performants vers les secteurs performants. Le présent encadré montre que les booms du crédit tendent à entraver ce deuxième facteur. Pendant les périodes de forte croissance du crédit, la main-d'œuvre afflue vers les secteurs présentant de faibles gains de productivité futurs (généralement des secteurs ayant particulièrement recours au crédit, alors que leur productivité à long terme n'est pas très dynamique). Cette situation sape la croissance de la productivité – et donc la production potentielle – même longtemps après l'arrêt de la croissance du crédit.

On peut décomposer la croissance globale de la productivité en une composante commune et une composante allocative. La composante commune mesure la croissance de la productivité à l'échelle de l'économie en supposant que la répartition sectorielle reste fixe, c'est-à-dire qu'il n'existe aucun flux de main-d'œuvre entre les secteurs. La composante allocative mesure la contribution de la réaffectation de la main-d'œuvre entre les secteurs, c'est-à-dire qu'elle rend compte de l'afflux de main-d'œuvre vers les secteurs où la croissance de la productivité est plus forte. Cette décomposition est calculée ici pour un panel de 22 économies depuis 1979 et sur des périodes de cinq ans sans chevauchement. On analyse ensuite la relation entre ces composantes et la croissance du ratio crédit au secteur privé/PIB.

GRAPHIQUE 1 Les booms du crédit conduisent à une mauvaise allocation de la main-d'œuvre

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Les estimations empiriques laissent penser que les booms financiers, comme le traduit la croissance rapide de ce ratio, coïncident avec un amenuisement de la composante allocative, ce qui signifie que la main-d'œuvre afflue vers les secteurs où la croissance de la productivité est plus faible (graphique III.B.1, cadre de gauche). À l'inverse, la composante commune semble être indépendante du crédit au secteur privé (graphique 1, cadre de droite). Une expansion du crédit peut néanmoins stimuler la croissance de la production, par le biais d'une hausse de la demande et de l'investissement, mais pas la croissance de la productivité. Pour appréhender l'importance économique de ce constat, on peut examiner l'expérience des États-Unis. Entre 2004 et 2007, la productivité du travail a augmenté de 1,2 % par an, mais la réallocation de la main-d'œuvre a apporté une contribution négative de 0,3 point de pourcentage. Sur la même période, le ratio crédit au secteur privé/PIB a progressé de 4,5 % par an. A priori, si ce ratio n'avait augmenté que de 1,5 %, le frein exercé sur la croissance de la productivité aurait été neutralisé.

GRAPHIQUE 2 Effet des crises financières et de la réaffectation de la main-d'œuvre sur la productivité : écart de la productivité par rapport au pic (en %)

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La réaffectation de la main-d'œuvre peut également influer sur l'évolution ultérieure de la productivité globale, en particulier après des crises financières. À titre d'illustration, on peut étudier les points d'inflexion du ratio PIB/population active pour déterminer si la trajectoire de la productivité globale qui suit un point d'inflexion dépend de la réaffectation de la main-d'œuvre qui s'est produite auparavant. Deux conclusions émergent alors. D'une part, la réaffectation antérieure de la main-d'œuvre vers des secteurs à forts gains de productivité contribue positivement à la productivité globale ultérieure (lignes continues ou discontinues dans le graphique 2). D'autre part, la réaffectation de la main-d'œuvre a un effet beaucoup plus grand après une crise financière (ligne rouge, continue ou discontinue, dans le graphique 2). Dans ce cas, les déficiences passées de l'allocation ont un effet négatif significatif et durable sur la croissance de la productivité globale (déficit cumulé de 10 points de pourcentage après cinq ans). Dans le cas des États-Unis, par exemple, ces estimations laissent penser que la réaffectation de la main-d'œuvre qui s'est déroulée sur la période 2004–2007, interagissant avec la crise financière subséquente, a privé la croissance de la productivité de 0,45 point de pourcentage par an entre 2008 et 2013. Ainsi, les booms financiers peuvent engendrer une stagnation de la productivité du fait de l'interaction entre la mauvaise allocation des ressources et les crises financières qui en découlent. »

Banque des Règlements Internationaux, « Booms financiers et mauvaise allocation de la main-d'œuvre », 85e rapport annuel, pp. 74-75. D'après l'étude de C. Borio, E. Kharroubi, C. Upper et F. Zampolli, « Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences ».



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