« Dans de nombreuses économies, l’inflation, déjà faible il y a un an, a continué à fléchir. Cette évolution récente de l’indice des prix à la consommation (IPC) reflète principalement les fortes fluctuations des prix pétroliers et alimentaires ainsi que des taux de change, des facteurs souvent considérés comme des déterminants à court terme (ou immédiats) de l’inflation. L’inflation sous-jacente, qui exclut les prix de l’alimentation et de l’énergie, est relativement faible depuis un certain temps, ce qui soulève des questions importantes quant aux conséquences d’autres facteurs d’inflation, à savoir les déterminants à moyen terme (ou conjoncturels) et à long terme (ou séculaires). Malgré plusieurs décennies de recherche et d’observation, l’influence qu’exercent sur l’inflation les déterminants à moyen et long terme demeure bien moins évidente que celle des facteurs immédiats.

Déterminants immédiats


Les effets à court terme des prix des produits de base et des taux de change sur l’inflation sont généralement bien compris. L’énergie a une pondération élevée dans l’IPC de divers pays, aussi les variations des prix de l’énergie ont-elles un impact fort et immédiat sur l’inflation IPC. Les prix de l’énergie peuvent connaître de fortes fluctuations sur de courtes périodes, comme ce fut le cas l’année passée. Les prix alimentaires sont généralement moins volatils, mais leurs variations peuvent tout de même avoir des incidences importantes, notamment dans les économies émergentes, où l’alimentation constitue une part plus importante du panier de biens et de services qui constituent l’indice des prix à la consommation.

Le degré auquel les variations des prix des produits de base se répercutent sur les autres prix a diminué au fil du temps. Dans les années 1970 et 1980, par exemple, l’augmentation des prix du pétrole a entraîné d’autres hausses de prix, ce qui a eu tendance à accroître l’inflation sous-jacente et les anticipations d’inflation. Depuis vingt ans, cependant, ces effets induits par les prix sur l’inflation sous-jacente sont bien plus modérés (graphique 1, cadre de gauche), alors même que les prix des produits de base exercent davantage d’influence sur l’inflation globale (graphique 1, cadre du milieu).

GRAPHIQUE 1 La répercussion des prix des produits de base et des taux de change sur l’inflation évolue

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Les variations de change sont aussi un important facteur immédiat pour l’inflation IPC et l’inflation sous-jacente. Les articles importés, tout comme ceux qui sont soumis à la concurrence internationale, constituent une part importante des paniers de l’IPC. Les prix de nombre de ces articles étant fixés sur les marchés internationaux, les variations des taux de change ont une incidence sur les coûts intérieurs.

Malgré la progression de la part des biens échangeables dans l’IPC sur les dernières décennies, la répercussion des taux de change sur l’inflation IPC comme sur l’inflation sous-jacente a diminué (graphique 5, cadre de droite). Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à ce déclin. L’un d’eux est le meilleur ancrage des anticipations d’inflation. Lorsque l’inflation est faible et stable, les entreprises et les ménages s’attendent normalement moins à ce que les banques centrales permettent des fluctuations de change susceptibles d’entraîner un écart persistant de l’inflation par rapport à l’objectif fixé. Les données font apparaître d’autres facteurs pouvant atténuer cet effet de transmission des variations de change sur les prix : l’apparition de chaînes d’approvisionnement intégrées, qui aident les multinationales à mieux absorber les variations de change ; un meilleur accès à des dispositifs de couverture moins onéreux ; et l’évolution de la composition des importations en faveur de produits, comme les biens manufacturés, dont les prix sont moins sensibles aux variations de change.

Déterminants conjoncturels


La relation entre l’inflation et le cycle économique, mesurée par des indicateurs de la sous-utilisation des ressources tels que l’écart de chômage, repose sur de solides bases théoriques. Toutefois, la relation empirique est généralement bien plus fragile, d’autant qu’elle varie avec les évolutions de l’économie mondiale et du système financier. Par exemple, le comportement de l’inflation sur la période qui a suivi la crise met en évidence le lien parfois ténu entre inflation et sous-utilisation des ressources. L’inflation a été plus forte qu’escompté en 2010–2011, compte tenu de la gravité de la crise et de l’excédent de capacités induit par la récession. Par la suite, malgré l’amélioration de la situation sur le marché du travail et la poursuite de la reprise de l’économie mondiale, l’inflation sous-jacente a enregistré, dans de nombreuses économies avancées ou émergentes, soit une diminution soit une stagnation à un niveau inférieur à l’objectif fixé par la banque centrale.

La faiblesse du lien empirique entre inflation et cycle économique a plusieurs explications. Tout d’abord, les capacités inutilisées sont parfois mal évaluées, étant donné qu’elles ne sont pas directement observées et doivent donc être estimées. Sur le marché du travail, par exemple, le taux de chômage est observable, mais les changements conjoncturels ou structurels du taux d’activité peuvent influer sur le volume effectif, non observé, de ressources de main d’œuvre inutilisées.

Deuxièmement, différentes méthodes et hypothèses permettant d’estimer le volant de ressources inemployées sur le marché du travail ou dans l’ensemble de l’économie peuvent donner des résultats très différents. Troisièmement, de nombreux modes de mesure en temps réel des capacités inutilisées sont susceptibles d’erreur ; il est ainsi probable qu’une vision précise de cette grandeur à un moment donné ne puisse être obtenue que bien plus tard.

Dans le même temps, des données – souvent négligées – tendent de plus en plus à démontrer que l’inflation réagit désormais moins à l’activité économique intérieure et davantage aux variations mondiales. Par exemple, l’écart de production mondial (graphique 2, cadre de gauche) semble aujourd’hui influer davantage sur l’inflation. De fait, on estime désormais que l’effet des capacités excédentaires mondiales est actuellement supérieur à celui des capacités excédentaires intérieures. De même, la part de l’inflation de différents pays expliquée par un facteur commun unique a augmenté, et il semblerait que cette évolution n’ait pas été anticipée par les prévisions du secteur privé (graphique 6, cadre du milieu). Autrement dit, le poids des déterminants mondiaux de l’inflation semble s’accroître, mais ceux-ci restent mal compris.

GRAPHIQUE 2 Détermination de l’inflation : les facteurs conjoncturels intérieurs perdent du terrain face aux facteurs mondiaux

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Le fait que l’inflation réagisse davantage aux conditions mondiales a plusieurs causes, notamment la plus grande intégration des marchés des produits et des facteurs. Du fait que cette intégration renforcée est susceptible d’influer sur le pouvoir de fixation des prix des producteurs nationaux et sur le pouvoir de négociation des travailleurs, l’effet des conditions mondiales sur l’inflation est nettement supérieur à leur impact direct via les prix à l’importation.

L’effet des tendances communes au niveau mondial est également visible sur le marché du travail. Les coûts unitaires nationaux de main-d’œuvre sont davantage corrélés d’une économie à l’autre, même en dehors des périodes de récession (graphique 6, cadre de droite). Ce résultat concorde avec des données montrant que l’inflation est devenue moins sensible aux variations des capacités excédentaires nationales ou, autrement dit, que les courbes de Phillips des marchés nationaux se sont aplaties. (…)

Déterminants séculaires


Comprendre les effets des déterminants séculaires (ou à long terme) de l’inflation est essentiel pour analyser son évolution. Les principaux déterminants à long terme sont les anticipations d’inflation, l’évolution des salaires, la mondialisation et la technologie. Ces déterminants ont sans doute eu, d’une manière générale, un effet désinflationniste, bien que l’ampleur de cet effet fasse débat. Chacun de ces déterminants est influencé par toute une série de politiques publiques et de réformes structurelles.

Au fil du temps, plus les régimes de politique monétaire se concentrent sur la maîtrise de l’inflation, plus les anticipations d’inflation tendent à diminuer. Ainsi, les anticipations d’inflation à long terme sont désormais étroitement alignées sur les objectifs explicites des banques centrales (graphique 3, cadre de gauche). Ces anticipations d’inflation faibles et bien ancrées sont perçues comme un résultat très positif, en particulier parce qu’elles influencent les décisions de tarification à plus long terme et la conclusion de contrats.

GRAPHIQUE 3 Les anticipations d’inflation à long terme restent ancrées

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Néanmoins, la compréhension des déterminants des anticipations d’inflation est encore incomplète et elle continue d’évoluer. Par exemple, un sujet de préoccupation actuel est le fait que les anticipations d’inflation sont peut-être moins bien ancrées qu’autrefois, en particulier dans les économies où le taux directeur est proche de son plancher effectif, où la croissance est faible et où l’inflation demeure depuis longtemps à un niveau inférieur à sa cible. Dans les économies avancées, les anticipations d’inflation semblent être devenues plus sensibles à l’inflation à court terme (graphique 3, cadre de droite). Cette évolution semble concorder avec la recherche économique, qui conclut généralement que si les anticipations d’inflation sont influencées par les objectifs des banques centrales, elles le sont aussi par l’inflation antérieure. Toutefois, cet élément rétrospectif des anticipations d’inflation à long terme a toujours eu tendance à réagir assez lentement aux variations de l’inflation.

La mesure des anticipations d’inflation est, elle aussi, des plus incertaines. Des doutes subsistent quant à savoir si les mesures données par les marchés financiers reflètent correctement les variations des anticipations d’inflation ou si ces mesures sont faussées par des facteurs propres aux marchés. En outre, les anticipations d’inflation des entreprises et des travailleurs sont susceptibles d’être plus pertinentes pour la formation des prix que celles des prévisionnistes professionnels. Malheureusement, les mesures des entreprises et des professionnels ne sont pas toujours disponibles et, lorsqu’elles le sont, leur qualité est souvent douteuse et elles sont assorties d’une forte volatilité.

L’évolution des salaires a elle aussi connu des changements au cours des dernières décennies. Par exemple, l’indexation des salaires sur l’inflation est beaucoup moins répandue que dans les années 1970, ce qui contribue à diminuer la persistance de l’inflation. La dynamique des salaires a également évolué sous l’effet de l’accroissement de la concurrence sur le marché du travail dans les économies avancées. Cette concurrence a commencé avec l’intégration croissante des économies de marché émergentes à bas coûts (y compris les anciennes économies étatiques) dans le système commercial mondial. La concurrence s’est généralisée et intensifiée à mesure que l’intégration mondiale se renforçait et que la gamme des biens et services échangeables au niveau mondial s’élargissait, notamment du fait de l’émergence des nouvelles technologies (avec l’externalisation, par exemple).

Cela explique en partie pourquoi, pour un certain nombre d’économies avancées, la part du travail dans le revenu national a progressivement reculé au cours des 25 dernières années. Plus généralement, les avancées technologiques qui ont permis de substituer directement le capital au travail ont joué un rôle similaire. Il suffit de penser, par exemple, aux ordinateurs, aux logiciels et à la robotique, qui ont automatisé des procédés jusque-là manuels.

L’apparition de concurrents proposant des prix inférieurs a fortement accru la contestabilité des marchés du travail et des produits, ce qui a réduit le pouvoir de détermination des prix dont jouissait les producteurs les plus onéreux, ainsi que le pouvoir de négociation des travailleurs – des forces désinflationnistes dont les effets sont bien supérieurs à ceux que laisserait prévoir le développement du commerce mondial et de son intégration. La mondialisation et l’innovation technologique ont contribué à l’apparition bienvenue d’une tendance persistante, bien que difficilement mesurable, à la baisse de l’inflation. »

Banque des Règlements Internationaux, 85e rapport annuel, 28 juin 2015, pp. 82-87.