« L’ampleur à laquelle les variations des prix relatifs peuvent entraîner une accélération de l’inflation a longtemps été une source de controverses. Au cours des années soixante et au début des années soixante-dix, plusieurs observateurs attribuèrent un rôle important aux hausses des prix alimentaires dans l’accélération de l’inflation dans les pays avancés, notamment le Royaume-Uni et les Etats-Unis (cf. graphique 1). (…)

GRAPHIQUE 1 Taux d’inflation aux Etats-Unis (en %)

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Blinder (1982) affirma que "de larges ajustements inévitables des prix relatifs" furent la principale source d'inflation dans les années soixante-dix : "Malgré toute la cacophonie de plaintes autour des déficits budgétaires ruineux et de la croissance monétaire excessive, (…) la dramatique accélération de l’inflation entre 1972 et 1974 peut s’expliquer par la hausse des prix alimentaires, la hausse des prix énergétiques et la fin du programme de contrôles des prix et salaires de Nixon."

Blinder affirma aussi que l’impulsion initiale de l’accélération de l’inflation en 1978 "provint principalement du secteur alimentaire". Il conclut que "les années soixante-dix furent réellement différentes et je ne vois pas pourquoi une théorie de l’inflation serait plus scientifique si elle ignorait ce fait". En se penchant à nouveau sur le sujet, Blinder et Rudd (2008) concluent que, même en utilisant les données révisées qui sont désormais disponibles, "les deux chocs pétroliers, les deux chocs des prix alimentaires qui leur furent contemporains et le retrait des contrôles des prix et salaires en 1973-1974 jouèrent les rôles principaux dans les événements macroéconomiques qui constituèrent la Grande Stagflation. La monnaie et la demande globale jouèrent, par comparaison, des rôles de figurants".

Blinder et Rudd, cependant, notent qu’en contraste à ce qui s’est passé dans les années soixante-dix, les chocs d’offre depuis cette époque ont eu beaucoup moins d’impact sur l’inflation américaine. Ils suggèrent que cela s’explique par un certain nombre de facteurs. Premièrement, il y eut des changements dans la structure de l’économie américaine. Les aliments représentent une plus petite part dans les paniers de consommation que dans les années soixante-dix. Il y a aussi une plus grande flexibilité des salaires, si bien que les salaires absorbent davantage les chocs d’offre que par le passé.

Deuxièmement, il y a eu des changements dans la réponse de la politique monétaire aux chocs d’offre : "La Fed en est venue à se focaliser davantage sur l’inflation sous-jacente, elle a gagné en crédibilité dans la lutte contre l’inflation, ce qui contribue maintenant à garder les anticipations d’inflation sous contrôle". Une transformation similaire dans la conduire de la politique monétaire a eu lieu au Royaume-Uni (…) et dans plusieurs autres pays autour du monde (Rogoff, 2003).

GRAPHIQUE 2 Les prix alimentaires réels mondiaux entre 1960 et 1999 (en indices, base 100 année 2000)

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Troisièmement, à l’inverse de ce qui s’est passé durant les années soixante-dix, les chocs de prix alimentaires ont été relativement absents durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Un indice des prix alimentaires mondiaux déclina régulièrement au cours de cette période (cf. graphique 2). Dans les années deux mille, cependant, les prix alimentaires grimpèrent à nouveau avec de brutales hausses en 2004, en 2008 et en 2012 (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 3 Les prix alimentaires réels mondiaux entre 2000 et 2014 (en indices, base 100 année 2000)

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Ces développements, combinés avec la perspective que les prix alimentaires puissent rester élevés pendant une période prolongée, ont suscité des craintes que les prix alimentaires puissent à nouveau alimenter l’inflation globale. Cette inquiétude est particulièrement vive pour les économies en développement, où la part des aliments dans les paniers de consommation reste élevée et où la politique monétaire peut manquer de crédibilité pour maintenir les anticipations d’inflation ancrées. (…)

Cette étude observe de façon globale l’impact des fluctuations des prix alimentaires mondiaux sur l’inflation domestique dans un large groupe de pays. Pour les économies avancées, nous constatons que ces fluctuations ont joué un rôle significatif au cours de la période allant des années soixante à aujourd’hui.

Selon les estimations que nous privilégions, une hausse de 10 % de l’inflation des prix alimentaires mondiaux entraîne au maximum une accélération d’environ 0,5 point de pourcentage de l’inflation domestique dans les économies avancées après une année. Nous constatons, cependant, que l’impact a décliné au cours du temps et qu’il est devenu moins persistant.

Depuis les années quatre-vingt, l’impact chuta à environ 0,25 point de pourcentage et il survint durant l'année de la hausse des prix alimentaires mondiaux ; après une année, il n’y eut essentiellement aucun impact sur l’inflation domestique. Comme Blinder et Rudd (2008) le notent, cette moindre importance peut être due (i) à l’absence de chocs de prix alimentaires significatifs dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ; (ii) au déclin de la part des aliments dans les paniers de consommation ; (iii) à d’autres changements dans la structure des économies tels qu’une plus grande flexibilité des salaires, qui empêche l’apparition d’une spirale prix-salaires ; (iv) et à une hausse de la crédibilité de la politique monétaire, si bien qu’une accélération non anticipée de l’inflation (due aux événements tels que les chocs de prix alimentaires mondiaux) n’entraîne pas un changement des anticipations d’inflation.

La hausse des prix alimentaires mondiaux depuis les années deux mille (qui inclurent trois hausses de ces prix) constitue une expérience contrôlée pour distinguer entre ces canaux. En utilisant un second ensemble de données comprenant des informations relatives aux indices des prix à la consommation mensuels pour un large ensemble de pays avancés et en développement, nous constatons que les plus récents chocs de prix alimentaires mondiaux ont eu un plus grand impact sur les pays en développement que sur les pays avancés. Ce plus large impact peut s’expliquer par la plus large part de l’alimentaire dans les paniers de consommation dans les pays en développement que dans les pays avancés. Nous fournissons également des preuves empiriques suggérant que les anticipations d’inflation sont plus ancrées dans les économies avancées que dans les économies en développement, ce qui peut contribuer à réduire l’impact sur les économies avancées d’une accélération soudaine de l’inflation due aux chocs des prix alimentaires mondiaux. »

Davide Furceri, Prakash Loungani, John Simon et Susan Wachter, « Global food prices and domestic inflation: Some cross-country evidence », FMI, working paper, 2015. Traduit par Martin Anota