« Depuis le début des années quatre-vingt, la politique d’ouverture de la Chine et ses réformes économiques ont conduit à une remarquable performance en termes de croissance. Comme le graphique 1 le montre, le PIB réel chinois a augmenté quasiment au rythme moyen de 10 % par an durant les 30 années qui précèdent le récent ralentissement. A ce rythme, le revenu national double tous les sept ans. Aucun autre pays dans l’histoire moderne n’avait atteint aussi longtemps un tel rythme de croissance.

GRAPHIQUE 1 Taux de croissance annuel du PIB réel chinois (en %)

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La croissance rapide du PIB a significativement accru le niveau de vie de la population chinoise. Selon les données tirées des Penn World Tables, le PIB réel par tête de la Chine représentait 20 % de celui des Etats-Unis en 2011, contre 5 % en 1980. La Banque mondiale estime que, durant la même période, plus de 600 millions de Chinois sont sortis de l’extrême pauvreté, puisqu’ils gagnent désormais plus de 1,25 dollar par jour.

Les moteurs de la croissance chinoise

La théorie suggère que trois facteurs contribuent à la croissance économique : l’accumulation du capital, l’expansion de la main-d’œuvre et l’amélioration de la productivité. (…) La croissance du troisième facteur, connu sous le nom de productivité totale des facteurs, a tout particulièrement contribué à l’impressionnante croissance économique de ces trois dernières décennies. Une série de réformes économiques domestiques mises en œuvre à partir des années quatre-vingt améliorèrent l’allocation du travail et du capital, mais aussi les incitations. La politique d’ouverture attira les investissements directs à l’étranger, ce qui apporta de nouvelles pratiques managériales, de nouveaux savoir-faire technologiques et un accès au marché mondial pour les entreprises chinoises. Ces politiques ont stimulé la productivité. Comme la productivité s’est améliorée au cours du temps, l’investissement et la production se sont accrus. Bien que l’investissement en capital ait aussi contribué à la croissance, sa contribution est limitée par les rendements décroissants et donc l’investissement ne peut plus être le principal moteur d’une croissance soutenable.

GRAPHIQUE 2 Les contributions à la croissance chinoise (en points de %)

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Le graphique 2 montre la contribution de chacun des trois facteurs à la croissance chinoise depuis 1980. (…) La croissance rapide de la Chine a été principalement tirée par les gains de productivité et l’investissement plutôt que par la croissance de l’emploi. Par exemple, l’accumulation du capital explique environ 50 % de la croissance moyenne de la Chine au cours des années quatre-vingt-dix, tandis que les stocks de capital en expliquent environ 40 % et le travail environ 10 %. Le rôle limité du travail reflète en partie la politique d’enfant unique de la Chine qui limite la croissance démographique, mais aussi les politiques restrictives en matière de migration interne, notamment le système du Hukou qui restreint la capacité des citoyens à travailler dans les villes autres que celle où ils sont nés. Le graphique révèle aussi un déclin significatif de la contribution de la productivité totale des facteurs depuis 2008. Par conséquent, la croissance chinoise est devenue plus dépendante de l’investissement en capital au cours des dernières années.

Le récent ralentissement de la croissance et les nouvelles mesures de politique économique

Durant la crise financière mondiale, la demande extérieure a fortement chuté. Parallèlement, les gains de productivité ralentirent, ce qui noircit davantage les perspectives d’une forte croissance qui soit soutenable à long terme. Le gouvernement chinois répondit à la crise en adoptant un large plan de relance budgétaire (…). Cette impulsion budgétaire a significativement stimulé la croissance de l’investissement, en particulier dans des domaines ciblés tels que les infrastructures et la construction, et entraîna des booms de court terme dans la production en 2009 et en 2010. Néanmoins, la croissance a substantiellement ralenti depuis 2011. Le taux de croissance moyen entre 2011 et 2014 fut d’environ 8 % (cf. graphique 1). La croissance ralentit davantage en atteignant 7 % au cours des deux premiers trimestres de l’année 2015 et le gouvernement chinois a officiellement réduit sa cible de croissance à 7 % pour l’année. Bien que ce soit toujours remarquable en comparaison avec les autres pays, ce chiffre est significativement plus faible que la moyenne de 10 % enregistrée au cours des trois précédentes décennies.

Le récent ralentissement a soulevé la crainte que la Chine puisse tomber dans ce qui est communément qualifié de "trappe à revenu intermédiaire" (cf. notamment Eichengreen, Park et Shin, 2011). Historiquement, les pays à forte croissance sont souvent tombés dans une telle trappe, leur croissance ralentissant brutalement lorsque le revenu atteignait un certain seuil, alors même que les hausses de salaires érodaient leur compétitivité.

Cependant, certains pays ont réussi à éviter la trappe à revenu intermédiaire et à rejoindre le club des pays à haut revenu, c’est-à-dire à atteindre un revenu par tête supérieur à 12.500 dollars aux prix internationaux constants de 2011 (selon la définition qu’en donne l’OCDE). Ces pays incluent des pays voisins de la Chine comme la Corée du Sud et le Japon. Durant les années soixante, le Japon avait un PIB réel par tête d’environ 6.000 dollars et un taux de croissance moyen supérieur à 10 % (cf. graphique 3). Au cours des décennies suivantes cependant, la croissance du PIB par tête du Japon ralentit. En 2011, le PIB par tête japonais atteignait 30.000 dollars et la croissance ralentit à environ 1,25 %. La Corée du Sud a suivi une trajectoire similaire depuis les années quatre-vingt.

GRAPHIQUE 3 Taux de croissance du PIB et niveau de vie du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine

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La Chine avait un PIB réel par tête égal à environ 2.000 dollars dans les années quatre-vingt. Celui-ci a régulièrement augmenté pour atteindre environ 5.000 dollars dans les années deux mille et plus de 10.000 dollars en 2014. Si la Chine continue de croître à un rythme de 6 ou 7 %, elle pourrait atteindre le statut de pays à haut revenu dans un proche avenir. Cependant, si l’expérience de la Chine reflète celle de ses voisins, sa croissance pourrait ralentir et atteindre en moyenne 3 % durant les années 2020, au cours desquelles son revenu par tête devrait atteindre environ 25.000 dollars.

Ce scénario peut paraître assez pessimiste, mais les perspectives de croissance à long terme de la Chine ne sont pas sans être ternies par certains déséquilibres structurels. Ces derniers comprennent la répression financière, l'absence de filet de sécurité sociale, une stratégie de croissance orientée vers les exportations et des restrictions du compte de capital, divers facteurs qui contribuèrent à générer une épargne domestique excessivement élevée et des déséquilibres commerciaux. Selon le Bureau National de la Statistique chinois, le taux d’épargne des ménages est passé de 15 % en 1990 à plus de 30 % en 2014. La forte épargne a stimulé l’investissement domestique, mais les allocations du crédit et du capital restent fortement inefficaces. Le secteur bancaire est largement contrôlé par l’Etat et les prêts bancaires favorisent de façon disproportionnée les entreprises publiques, au détriment des entreprises privées plus productives. Selon les estimations de Hsieh et Klenow (2009), la mauvaise allocation du capital a significativement déprimé la productivité chinoise. Si l’allocation du capital était aussi efficace que celle observée aux Etats-Unis, alors la productivité totale des facteurs chinoise pourrait s’accroître de 30 % à 50 %.

Pour répondre aux déséquilibres structurels et atteindre ainsi une croissance soutenable à long terme, le gouvernement chinois a annoncé un projet de réformes économiques au Troisième Plenum en novembre 2013. Les réformes proposées incluent : (1) des réformes du secteur financier, avec notamment la libéralisation des taux d’intérêt, l’établissement d’une assurance-dépôts et un renforcement de la réglementation et de la supervision financières ; (2) des réformes budgétaires, notamment le renforcement des filets de sécurité sociale, l’introduction d’une fiscalité plus efficace et plus redistributive et l’amélioration du système d’assurance-maladie et du système de retraite ; (3) des réformes structurelles, notamment la réforme des entreprises publiques, la réforme du système du Hukou et une plus grande ouverture des marchés ; et (4) des réformes du secteur externe, avec notamment la libéralisation du taux de change et du contrôle du compte de capital.

Si ces projets de réformes sont efficacement mis en œuvre, alors la Chine devrait être capable d’éviter la trappe à revenu intermédiaire et d’atteindre un rythme raisonnable et soutenable de croissance à long terme. Au cours de la transition, cependant, les réformes structurelles peuvent contribuer à freiner la croissance économique.

Perspectives de croissance

On s’attend à ce que la croissance chinoise ralentisse davantage ces prochaines années. Le FMI prévoit qu’elle sera d’environ 6,8 % en 2015. Avec le vieillissement de la population, le ralentissement de la croissance de la productivité et les ajustements de politique économique nécessaires pour mettre en œuvre les réformes structurelles, la croissance devrait davantage ralentir et passer à 6,3 % en 2016 à 6 % en 2017. »

Zheng Liu, « Is China’s growth miracle over? », FRBSF Economic Letter, 10 août 2015. Traduit par Martin Anota