« La croissance dans les pays émergents a ralenti depuis 2010. On s’attend à ce que la croissance agrégée annuelle des pays émergents passe de plus de 7 % en 2010 à environ 4 % en 2015, soit un taux bien inférieur au rythme d’expansion du début des années deux mille. Le ralentissement a été généralisé : ces trois dernières années, la croissance a été en moyenne inférieure au rythme d’avant-crise dans 21 des 23 plus grands pays émergents (cf. graphique). Dans certains pays, la croissance a fortement ralenti. Les pays émergents jouent un rôle important en tirant la croissance mondiale et en tant que partenaires à l’échange de la zone euro. Un ralentissement plus marqué dans les pays émergents pèserait par conséquent sur la croissance de l’économie mondiale et de la zone euro. Nous discutons des facteurs sous-jacents au ralentissement de la croissance économique dans les pays émergents. Ces facteurs incluent la combinaison d’une modération de la croissance structurelle dans certaines des plus grandes économies et des facteurs conjoncturels tels que les répercussions internationales de la faiblesse dans les pays avancés, un changement des conditions de financement externes et le resserrement des politiques domestiques.

GRAPHIQUE Taux de croissance annuel moyen dans les pays émergents (en %)

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note : l’échantillon inclut l’Argentine, le Brésil, la Chine, la Colombie, la République Tchèque, l’Egypte, Hong Kong, la Hongrie, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Mexique, la Pologne, la Russie, l’Arabie Saoudite, Singapour, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, Taiwan, la Thaïlande, la Turquie et le Venezuela.

Une composante du récent ralentissement a été structurelle. La croissance potentielle dans les pays émergents avait tendance à augmenter avant la crise financière mondiale (tirée par une forte accumulation du capital et des gains de productivité élevés, ainsi que par une dynamique démographique favorable), mais elle a ralenti depuis.

Les facteurs sous-jacents aux dynamiques de la croissance de la production potentielle diffèrent d’un pays à l’autre. En Chine, l’accumulation du capital a ralenti suite à plusieurs années de fort investissement ; ce dernier s’est traduit par des surcapacités et une mauvaise allocation des ressources, pesant sur la productivité. Parallèlement, la population en âge de travailler a décliné depuis 2011. Les autorités chinoises ont pris conscience du besoin de rééquilibrer l’économie pour assurer la soutenabilité de la croissance à long terme. En Russie, des tendances démographiques défavorables freinent aussi la croissance potentielle. En outre, la baisse des prix énergétiques et les sanctions internationales se sont ajoutées aux obstacles pesant sur l’investissement et la croissance, notamment les goulots d’étranglement infrastructurels et un mauvais climat des affaires, qui ont entraîné des fuites de capitaux. Au Brésil, la croissance potentielle s’est détériorée comme la baisse des prix des matières premières a affecté des exportations clés. De plus, la faible productivité a été affectée par les réglementations sur l’investissement en infrastructures et des réformes structurelles limitées. En Inde, à l’inverse, la croissance potentielle a été plus résiliente, dans la mesure où le nouveau gouvernement a pris des mesures pour soutenir l’activité, par exemple en accélérant l’investissement public dans les infrastructures, en adoptant le ciblage d’inflation, en réduisant les subventions qui perturbaient les prix et en adoptant des mesures qui améliorent le climat des affaires. Les tendances démographiques ont continué de soutenir la croissance.

Les facteurs conjoncturels, notamment la faiblesse de l’environnement externe, ont aussi contribué au ralentissement de la croissance des pays émergents. La croissance est restée lente dans les économies avancées suite à la crise financière mondiale. Couplé avec le ralentissement de la croissance chinoise, cela a contribué à ce que la croissance du commerce mondiale soit relativement faible depuis 2011, ce qui a pesé sur l’activité économique dans les pays émergents. Plus récemment, certains pays émergents exportateurs de matières premières ont souffert d’une considérable détérioration de leurs termes de l’échange en conséquence de la chute des prix de certaines matières premières, avec les chutes particulièrement prononcés des prix des produits énergétiques et des métaux industriels. A l’inverse, les pays émergents importateurs de matières premières ont profité de la baisse des prix énergétiques.

Le resserrement de la politique domestique a aussi pesé sur la croissance dans certains pays. Immédiatement suite à la crise financière mondiale, les pays émergents bénéficièrent du soutien de la politique domestique. Avec notamment la forte expansion des dépenses d’investissement en Chine, les politiques budgétaires étaient expansionnistes. Les politiques monétaires étaient également accommodantes et de faibles taux d’intérêt réels soutinrent une croissance rapide du crédit dans plusieurs pays émergents. Plus récemment, cependant, certaines banques centrales ont relevé les taux d’intérêt face aux pressions inflationnistes croissantes générées par la dépréciation de leurs devises. De même, les politiques budgétaires ont été resserrées dans certains pays émergents dans la mesure où les autorités publiques ont cherché à reconstituer les marges de manœuvre qui étaient érodées au sortir de la crise.

A l’inverse, l’environnement financier externe a continué de soutenir la croissance dans les pays émergents. Les conditions de financement mondiales pour les pays émergents ont été généralement favorables depuis la crise financière mondiale, puisque les banques centrales des pays avancés ont poursuivi des politiques accommodantes, en maintenant des taux d’intérêt faibles et en s’engageant dans des achats d’actifs à grande échelle. Par conséquent, les mouvements de capitaux sont restés vigoureux dans la période d’après-crise, à l’exception de périodes de plus forte aversion au risque, notamment lors de la crise de la dette souveraine de la zone euro et lorsque la Fed fit référence à un possible ralentissement (tapering) de ses achats d’actifs.

Cependant, l’éventuel resserrement monétaire aux Etats-Unis est susceptible d’affecter l’environnement financier mondial et de générer des risques sur les perspectives économiques des pays émergents. Par le passé, les épisodes de resserrement de la politique monétaire de la Fed et d’appréciation du dollar américain ont typiquement été associés à des turbulences financières dans les pays émergents. En comparaison avec la situation observée lors des précédentes crises, cependant, la plupart des pays émergents ont désormais de plus robustes cadres macroéconomiques et des régimes de taux de change plus flexibles. Cependant, la spéculation observée durant l’année 2013 autour d’une normalisation de la politique monétaire américaine déstabilisa les marchés d’actifs des pays émergents. Les taux de change se déprécièrent rapidement dans certains pays, en particulier dans les pays marqués par des fragilités externes telles que de larges déficits de compte courant ou une forte dépendance au financement externe. L’accroissement de la dette externe, surtout les dettes libellées en dollar, risque de laisser certains pays émergents vulnérables à une détérioration soutenue des conditions de financement mondiales.

Globalement, la croissance des pays émergents devrait rester plus modérée qu’avant la crise financière mondiale et les risques restent baissiers. Le resserrement des conditions financières domestiques et mondiales suggèrent que la croissance dans les pays émergents va se poursuivre au même rythme que ces dernières années. La croissance potentielle a également ralenti, malgré quelques réformes prometteuses dans les pays émergents. A l’avenir, ces vents contraires conjoncturels et structurels risquent d'avoir un plus large impact sur l’activité économique que ce qui est couramment anticipé. Les pays émergents jouent un rôle significatif dans l’économie mondiale : en termes de parité de pouvoir d’achat, ils représentent plus de 60 % du PIB mondial et ils ont contribué en moyenne aux trois quarts de la croissance mondiale depuis 2000. Un ralentissement plus marqué des pays émergents freinerait donc fortement la croissance de l’économie mondiale et de la zone euro. »

BCE, « Why has growth in emerging market economies slowed? », Economic Bulletin, n° 2015/5, 2015. Traduit par Martin Anota



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