« Les effets persistants de la crise financière, les plans d’austérité mis en œuvre pour stabiliser la dette publique et les effets du vieillissement démographique pèsent sur les perspectives de croissance de la production à moyen terme. De ce point de vue, il est naturel de considérer les réformes structurelles comme des mesures additionnelles pour stimuler la croissance, en l’occurrence en accroissant la productivité ou l’utilisation de la main-d’œuvre. Nous passons en revue la littérature qui s’est développée sur ce sujet.

Les réformes structurelles comprennent : (i) les réformes sur le marché du travail ; (ii) les réformes sur le marché des produits visant à accroître la concurrence ; (iii) les réformes fiscales ; (iv) les améliorations apportées à la réglementation des marchés des capitaux ; (v) les mesures visant à stimuler l’innovation (par exemple l’investissement en recherche-développement) ; et (vi) les réformes éducatives.

Au cours des dernières décennies, le calendrier et l’ampleur des réformes a fortement varié d’un pays à l’autre. Pour certains secteurs en particulier, il y a eu une certaine convergence entre les pays en ce qui concerne le cadre réglementaire. Certains réformes apparaissent par vagues entre les pays et la plupart sont mises en œuvre graduellement (FMI, 2004). L’hétérogénéité structurelle dans la zone euro est bien documentée (Allard et Evaert, 2010 ; Irac et Lopez, 2013). Les réformes requises par conséquent diffèrent entre les économies de la zone euro. Les réformes structurelles lancées par certains pays de la zone euro durant la crise peuvent contribuer à réduire l’hétérogénéité au sein de l’union monétaire (OCDE, 2012a).

Les études empiriques transnationales

Les études réalisées par la Commission européenne, l’OCDE, le FMI et la Banque mondiale confirment que les réformes structurelles peuvent accroître la croissance à long terme. Par exemple, D’Auria et ses coauteurs (2009) utilisent un modèle d’équilibre général stochastique dynamique (DSGE) calibré aux pays-membres individuels de l’Union européenne pour étudier l’impact de diverses réformes. Les résultats suggèrent une hausse de l’emploi et de la production à long terme, bien que l’impact diffère d’un pays à l’autre en raison de certaines spécificités nationales. Bayoumi et ses coauteurs (2004) aboutissent à des conclusions similaires en utilisant un modèle d’équilibre général calibré pour capturer les effets de débordement entre l’ensemble de la zone euro et un pays étranger, en agrégeant d’autres économies développées. Evaraert et Schule (2006) confirment l’effet positif en utilisant une version du modèle GEM du FMI (…). Gomes et ses coauteurs (2011) réalisent un exercice similaire en utilisant le modèle EAGLE (…).

D’autres études empiriques utilisant des régressions transnationales confirment aussi les effets positifs des réformes structurelles sur la croissance. Ici, plusieurs articles se focalisent sur les effets des réformes menées sur le marché du travail et les marchés de biens et services. De nombreuses rigidités du marché du travail (notamment des niveaux élevés de protection de l’emploi, le salaire minimum, les indemnités de licenciement, les cotisations sociales et les inefficacités dans les négociations salariales) sont associées à de plus faibles niveaux d’emploi et de productivité (Nickell et ses coauteurs, 2005 ; Bassanini et Duval, 2006 ; Annett, 2007 ; Fialová et Schneider, 2008 ; Jaumotte, 2011 ; Banque mondiale, 2012). La réglementation excessive du marché des produits est également associée à une plus faible croissance de la production, de l’emploi et de l’investissement (Berger et Danninger, 2007 ; Pérez et Yao, 2012 ; Banque mondiale, 2012).

L’Allemagne, la Suède, le Danemark et la Finlande, qui ont tous réformé leur marché du travail au cours de la dernière décennie, réalisèrent de meilleures performances relatives si l’on considère divers indicateurs relatifs au travail, comme l’emploi et le chômage (Räisänen et ses coauteurs, 2012). Sur les réformes du marché des produits, Wölfl et ses coauteurs (2009) constatent une significative hétérogénéité d’un pays à l’autre, avec des restrictions anticoncurrentielles significativement inférieures à la moyenne de l’OCDE dans certains pays (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Islande, le Canada, le Danemark et les Pays-Bas) et significativement supérieures à la moyenne de l’OCDE dans d’autres pays (Luxembourg, République Tchèque, Mexique, Turquie et Pologne). (...)

La mise en œuvre des réformes structurelles

Plusieurs études se focalisent sur les effets des réformes structurelles dans des économies en particulier. Forni et ses coauteurs (2010), Almeida et ses coauteurs (2010) et Kilponen et Ripatti (2006) étudient respectivement l’impact des réformes des marchés du travail et des produits sur la production et le bien-être en Italie, au Portugal et en Finlande. Dans ces trois articles, les auteurs utilisent des modèles DSGE pour quantifier les effets de réformes qui visent à accroître la concurrence et à réduire par là les surprofits sur les marchés du travail et des produits. Ils aboutissent aux mêmes conclusions qualitatives. Une plus forte concurrence accroît la production, la consommation et l’investissement et stimule l’emploi. Cependant les coûts à court terme comprennent une réduction temporaire de la consommation et une hausse du taux d’intérêt. Gomes et ses coauteurs (2011) constatent que les réductions des surprofits sur les marchés du travail et des services au Portugal génèrent des gains à long terme pour ce qui concerne les principales composantes macroéconomiques. Pour la Grèce, la Fondation pour la Recherche Economique et Industrielle (IOBE) (2010) suggère que les réformes des marchés des produits et du travail et les réformes du secteur public ont d’importants effets sur la productivité et la croissance. Cette étude souligne la nécessite de réduire les surprofits et les rigidités des prix sur les marchés des produits grecs. Pour l’Espagne, Gavilan et ses coauteurs (2011) proposent la mise en œuvre simultanée de réformes structurelles sur les marchés du travail et des produits.

En fait, plusieurs auteurs affirment que les réformes du marché du travail et des marchés des produits sont complémentaires. Everaert et Schule (2006), Berger et Danninger (2007), Aghion et ses coauteurs (2009), Allard et Everaert (2010), Gomes et ses coauteurs (2011), Bouis et Duval (2011), Pérez et Yao (2012) et Turner et Nicoletti (2012) constatent que la synchronisation des réformes des deux marchés a un impact positif. Annett (2007) suggère que les bénéfices de la modération salariale sont plus importants dans les pays où les marchés du travail et des produits sont moins réglementés. Berger et Danniger (2007) constatent que la déréglementation du marché des produits est plus efficace lorsque la réglementation du marché du travail est moins stricte. Cependant Fiori et ses coauteurs (2012) aboutissent la conclusion opposée lorsqu’ils prennent en compte les liens d’économie politique entre les politiques.

La productivité et la croissance potentielle sont aussi affectées par la déréglementation du marché du travail et du marché des produits, par le niveau d’éducation de la main-d’œuvre et par le niveau technologique de l’économie (Aghion et ses coauteurs, 2009 ; Sideris, 2010).

Certains auteurs (Annett, 2007 ; Pérez et Yao, 2012) soulignent le cercle vertueux des réformes du marché du travail : la hausse de l’offre de travail permet de consolider les finances publiques, ce qui trace la voie pour davantage de réformes structurelles. Ostry, Prati et Spilimbergo (2009) soulignent l’importance du séquençage des réformes. Les réformes structurelles ont souvent des coûts de transition parce que les bénéfices (accélération des créations d’emplois et d’entreprises, hausse de l’innovation) ne se matérialisent que lentement, tandis que les coûts (modération salariales, baisse de la consommation, réallocation structurelle, réduction de la taille du gouvernement, etc.) sont immédiats. Cacciatore et ses coauteurs (2012) suggèrent qu’un large ensemble de réformes des marchés du travail et des produits peut atténuer les coûts de transition. Les effets récessifs à court terme associés aux réformes structurelles peuvent trouver leur origine dans les coûts d’ajustement, dans l’accroissement de l’incertitude et dans d’autres facteurs. Cependant les réformes peuvent aussi apporter des bénéfices à court terme, dans la mesure où les surprofits chutent sur les marchés des produits (selon Blanchard et Giavazzi, 2003) et où l’ajustement s’améliore sur le marché du travail (Bassanini et Duval, 2006). Divers modèles supposent que les réformes menées sur les marchés des produits réduisent immédiatement les prix et salaires excessivement élevés (c’est notamment le cas des études d’Everaert et de Schule, 2006, et de Gomes et de ses coauteurs, 2011).

Les réformes structurelles mises en œuvre lors des crises

Les études empiriques qui se sont récemment focalisés sur les réformes structurelles menées en temps de crise aboutissent à diverses conclusions. Premièrement, l’impact de la réforme dépend de l’état de l’économie (Bouis et ses coauteurs, 2012 ; OECD, 2012b). Les répercussions récessives à court terme peuvent être amplifiées si les réformes structurelles accroissent l’incertitude entourant le revenu futur et par conséquent si elles conduisent à une hausse de l’épargne de précaution. Deuxièmement, la réussite de la mise en œuvre dépend de plusieurs facteurs d’économie politique. A partir d’un échantillon de 10 pays de l’OCDE, Tompson (2009) affirme que cette réussite requiert que les buts soient clairement rendus publics, que les mesures apparaissent équitables, qu’elles obtiennent le soutien de nombreux responsables politiques (…) et qu’elles fassent consensus parmi les partenaires sociaux. L’OCDE (2012b) note que ces conditions peuvent avoir été absentes en Grèce, ce qui aurait contribué au déclin de la production et aux tensions politiques. Troisièmement, seule une approche globale peut raviver la croissance à moyen terme, si bien que les réformes nécessitent de stimuler la demande globale aussi longtemps que la reprise demeure fragile (Allard et ses coauteurs, 2010). Quatrièmement, les synergies entre les réformes menées sur le marché du travail et celles menées dans le secteur des services doivent être exploitées pour promouvoir les créations d’emplois (Allard et ses coauteurs, 2010 ; OCDE, 2012b). L’effet récessif des pertes d’emplois suite aux réformes du marché du travail peuvent être partiellement compensées si les réformes du marché des produits conduisent à une baisse des prix et à une hausse des profits, stimulant le revenu disponible réel (Blanchard et Giavazzi, 2003 ; IOBE, 2010). Les réformes des marchés du travail et des produits peuvent aussi améliorer la compétitivité en réduisant les salaires et les prix. Cependant, pour des pays hautement endettés, la baisse des prix peut aussi réduire le fardeau de la dette (OCDE, 2012b). La compétitivité peut aussi être améliorée par des mesures pour améliorer la productivité. Cinquièmement, les réformes structurelles sont davantage susceptibles de réussir si les anticipations de gains futurs rétroagissent sur la demande courante à travers la consommation et l’investissement (OCDE, 2012b). Cela requiert aussi un système bancaire robuste et efficace pour financer l’investissement et permettre un lissage du revenu en anticipation de gains futurs et pour compenser les pertes temporaires de revenu (OCDE, 2012b ; Allard et ses coauteurs, 2010). »

Maria Albani, Delphine Irac et Dimitris Sideris, « Research on structural reforms », in BCE, Public debt, population ageing and medium-term growth, août 2015. Traduit par Martin Anota



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