« Jeremy Corbyn, le candidat à la présidence du parti travailliste, a fait preuve d’une certaine flexibilité sur son idée d’assouplissement quantitatif pour le peuple (People’s QE). C’est peut-être bon signe pour le futur (s’il gagne), lorsqu’il faudra répondre à la critique avertie. Comme je l’ai déjà écrit, sa proposition originelle se fondait sur deux bonnes idées (nous pouvons faire mieux que l’actuel assouplissement quantitatif et nous avons besoin d’une Banque d’Investissement Nationale), mais elle les combine bien mal. Par conséquent, j’avais peur que cette proposition (…) risque de discréditer chacune de ces deux bonnes idées. Mais nous pouvons faire preuve d’optimisme et espérer qu’elle soit à l’origine d’un débat sur chacune d’entre elles.

Dans ce billet, je veux parler à propos de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE). L’idée fondamentale derrière l’assouplissement quantitatif est qu’en achetant des titres de long terme quand leur prix est élevé (c’est-à-dire lorsque les taux d’intérêt sont bas) pour accroître davantage leurs prix (c’est-à-dire pour réduire davantage les taux d’intérêt) à court terme, puis en les vendant après lorsque les prix d’actifs sont plus faibles (et les taux d’intérêt plus élevés), vous pouvez stimuler davantage la demande globale. A première vue, cela ne semble pas trop différent des activités normales de la banque centrale, en l’occurrence faire varier les taux d’intérêt de court terme. Il y a cependant deux différences majeures. La première, qui en principe n’importe pas beaucoup, est que le montant de monnaie que la banque centrale crée pour s’assurer que les taux d’intérêt de court terme chutent est modeste. Par contre, le montant de monnaie qu’elle crée pour avoir un quelconque impact significatif sur les taux d’intérêt à long terme est bien plus important.

La seconde différence, plus importante, concerne la prédictibilité. La banque centrale peut avoir une influence importante et assez prévisible sur les taux d’intérêt de court terme sur le marché. L’impact de tout montant d’assouplissement quantitatif sur les taux de long terme est bien plus incertain, que ce soit en théorie ou en pratique. Pire, parce que son impact dépend d’une certaine segmentation du marché (…) et qu’il peut être non linéaire, il n’y a pas de raison de croire que tout savoir gagné cette fois-ci sera toujours pertinent la prochaine fois que la banque centrale utilisera cet instrument. En résumé, c’est un instrument assez mauvais.

Cela signifie que l’on devrait chercher une meilleure manière de faire les choses lorsque les taux d’intérêt à court terme butent sur leur borne inférieure. La relance budgétaire est un candidat évident, mais nous connaissons les problèmes politiques qui l’entourent. (…) Ils illustrent les difficultés qu’il y a à déléguer apparemment la politique de stabilisation à une banque centrale et de dire ensuite aux responsables politiques qu’ils ont à gérer la stabilisation précisément au moment où celle-ci est la plus nécessaire. Pour cette raison, la monnaie-hélicoptère n’est pas juste une relance budgétaire de seconde main (…), mais un moyen de donner à la banque centrale les outils pour qu’elle puisse remplir efficacement sa mission, qu’importe la taille et le signe du choc.

En l’absence d’une politique publique appropriée, je trouve la justification pour la monnaie-hélicoptère convaincante et les arguments contre son usage très peu robustes. Mais, comme avec la politique budgétaire, ce n’est pas parce que quelque chose fait sens sur le plan macroéconomique que ça surviendra. J’ai toujours été réticent à prêter beaucoup d’attention à l’impact distributionnel de la politique monétaire, parce (…) qu’une attention, même bienveillante, à la répartition peut empêcher la mise en œuvre de la bonne politique. Pourtant, peut-être que nous devons le faire, lorsqu’il s’agit de remplacer (…) l’assouplissement quantitatif.

Il est probable que l’assouplissement quantitatif entraîne des pertes pour la banque centrale. Ou pour le dire autrement, la banque centrale va avoir moins de monnaie que si elle n’avait pas adopté cette mesure. Qu’elle soit ou non recapitalisée par le gouvernement n’est pas la question clé ici. Après tout, elle achète à un prix élevé pour revendre à un prix plus faible. C’est partie intégrante de la politique. Qui gagne ces pertes ? Où va aller la monnaie qui a été définitivement mise en circulation en raison des pertes ? Au secteur financier et aux propriétaires d’actifs financiers (qui vendent des actifs à la banque centrale à un prix élevé et les lui rachètent ensuite à un bas prix). Par conséquent, les pertes associées à l’assouplissement quantitatif vont impliquer un transfert d’argent du secteur public au secteur financier.

Si l’assouplissement quantitatif est le seul moyen de stabiliser l’économie dans une trappe à liquidité, parce que la politique budgétaire est inutilisable pour des motifs politiques, alors qu’il en soit ainsi. Les bénéfices sociaux sont alors sûrement supérieurs aux coûts distributifs (…). Mais si l’assouplissement quantitatif est un instrument peu efficace et que vous avez à disposition de meilleurs instruments, alors vous devez vous demander qui gagne à ce que nous conservions l’assouplissement quantitatif. »

Simon Wren-Lewis, « Corbyn, QE and financial interests », in Mainly Macro (blog), 2 septembre 2015. Traduit par Martin Anota