« Matthew Klein décrit assez bien comment la situation macroéconomique de l’Espagne s’améliore (...). Je ne suis pas spécialiste de l’économie espagnole, donc je ne peux ajouter un quelconque détail. Cependant je veux revenir sur un point, un point sur lequel Klein et bien d’autres (notamment Martin Wolf) se trompent.

Avant de faire cela, je veux juste faire un point général à propos de la reprise actuelle. En son cœur, elle est orientée à l’export, ce qui est exactement ce à quoi vous devriez vous attendre. Comme le montre ce billet qui compare la Grèce et l’Irlande, la zone euro dispose d’un mécanisme de correction naturel lorsqu’un pays devient non compétitif en raison d’un boom domestique temporaire (qu’importe sa cause). Le mécanisme en question est une récession et ce que les économistes appellent une "dévaluation interne" : une chute des salaires et des prix. Le problème avec ce mécanisme de correction est qu’il est, en soi, lent et douloureux, en particulier lorsque l’inflation de la zone euro est faible.

Donc la question clé est : qu’est-ce que l’Espagne aurait pu faire pour éviter d’avoir une correction si douloureuse ? La cause du problème fut l’endettement excessif du secteur privé avant la crise et les afflux de capitaux qui lui sont associés. Cela contribua à un boom insoutenable de l’immobilier qui entraîna un large déficit du compte courant et une accélération de l’inflation. (J’ai aimé la remarque que fit Matthew Klein à propos du récent accroissement de l’endettement des entreprises orientées à l’export. Un surcroît d’endettement n’est pas mauvais si l’investissement est sain.) Qu’est-ce que l’Espagne aurait pu faire pour calmer les choses ? Comme Matthew Klein le souligne, l’Espagne avait déjà des politiques macroprudentielles prudentes et il semble que de nouvelles mesures macroprudentielles n’auraient pas suffi.

Ce qui nous amène bien évidemment à la politique budgétaire et c’est ici que beaucoup de commentateurs se trompent. Ils disent, avec raison, que le problème de l’Espagne ne résulte pas d’un gouvernement dépensier. Ils disent, toujours avec raison, que le budget courant était en excédent de 2005 à 2007. Bien sûr, le chiffre pertinent est le solde sous-jacent (ajusté en fonction de la conjoncture) et le FMI pense dorénavant qu’il présente un déficit persistant, quoique faible. Mais comme Martin Wolf le souligne, de nouveau avec raison, le FMI en 2008 ne pensait pas du tout la même chose. Comme je l’ai dit plusieurs fois dans le cas du Royaume-Uni, les chiffres ex post pour les déficits ajustés en fonction de la conjoncture avant-crise sont à prendre avec précaution, en raison de la profondeur et de la persistance de cette récession.

L’erreur que chacun commet ici est de juger la politique budgétaire appropriée par la taille du déficit budgétaire. C’est comme si l’on disait qu’une plus grande relance budgétaire aux Etats-Unis était impossible en 2009 parce que le déficit était déjà très large. Pour un pays individuel dans une union monétaire, le déficit n’est pas l’indicateur approprié pour juger de la politique budgétaire de court terme. A moins qu’il y ait de très bonnes raisons de croire que l’économie soit trop compétitivité, l’indicateur approprié est l’écart de l’inflation nationale par rapport à la moyenne de la zone euro. Entre 2001 et 2007, le déflateur du PIB (le prix des biens produits sur le territoire domestique) pour la zone euro dans son ensemble augmentait à un taux moyen légèrement supérieur de 2 % par an. En Espagne, il s’est accru à un rythme moyen de presque 4 % par an. Une inflation excessive de 2 points de pourcentage chaque année pendant une période de 7 ans implique une perte de 15 % de la compétitivité. Donc oubliez le déficit budgétaire actuel ou toute version corrigée en fonction de la conjoncture : la politique budgétaire était juste insuffisamment restrictive.

On m’a souvent dit qu’il était "politiquement infaisable" pour l’Espagne d’avoir une politique budgétaire plus restrictive avant la crise. Si cela est réellement le cas, alors l’Espagne n’a pas vraiment à se plaindre à propos de la subséquente récession. Si vous ne pouvez rien faire de mieux, vous avez à laisser le mécanisme de correction naturel faire son lent et douloureux travail. Mais je soupçonne que ce qui est "politiquement impossible" reflète en partie le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) de la zone euro, qui se focalisa entièrement sur les déficits.

Il semble plus que probable que l’union monétaire existante, qui ne s’accompagne pas d’une union budgétaire et politique, est susceptible de perdurer en l’état pendant quelques temps. Beaucoup dans l’élite politique européenne ont prévu d’aller rapidement vers une plus grande union (voir Andrew Watt ici), mais il y a de nombreux obstacles sur leur chemin. Le fonctionnement du système actuel peut être amélioré et l’adoption d’une réelle politique budgétaire contracyclique peut contribuer à cette amélioration. Combiner cela avec la réduction du déficit à moyen terme est simple sur le plan technique. Combien d’années et de récessions faut-il avant que la macroéconomie la plus rudimentaire puisse devenir politiquement acceptable ? »

Simon Wren-Lewis, « Spain, and how the Eurozone has to get real about countercyclical policy », in Mainly Macro (blog), 3 septembre 2015. Traduit par Martin Anota



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