« Avant la crise financière mondiale et l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), il y avait relativement peu d’études sur l’impact des politiques de bilan sur les banques centrales des économies avancées, peut-être en raison de la faible ampleur de ces politiques. La recherche sur ce sujet est encore bien plus limitée en ce qui concerne l’impact de telles politiques sur les marchés émergents (Chen et alii, 2012), mais l’assouplissement quantitatif, qui entraîna une expansion sans précédents du bilan de la Réserve fédérale, a suscité l’intérêt pour ce type d’études et a généré de plus en plus d’analyses sur l’impact et l’efficacité des politiques de bilan des banques centrales des pays avancés (Chen, Mancini-Griffoli et Sahay 2014). Même si ces politiques sont menées en vu d’atteindre des objectifs domestiques tels que le maintien de la stabilité financière, la stimulation de la croissance ou la prévention de la déflation, elles peuvent néanmoins avoir de significatifs effets de débordement sur les autres économies. En particulier, il est largement accepté que l’assouplissement quantitatif et les politiques monétaires non conventionnelles des autres économies avancées, tout comme leur retrait, peuvent perturber les pays émergents. (…)

Il y a un accord général dans la littérature pour dire que les pays émergents furent profondément affectés par les politiques monétaires des économies avancées. Récemment, il y a eu plusieurs études se focalisant sur des questions entourant l’évocation d’un ralentissement (tapering) des achats d’actifs par la Fed en 2013, notamment les études réalisées par Aizenman, Banici et Hutchinson (2014), Eichengreen et Gupta (2014), Mishra et alii (2014), Sahay et alii (2014), Park, Ramayandi et Shin (2014). Ces études ont utilisé des données journalières sur les taux de change et les cours bousiers en plus de d’autres indicateurs à haute fréquente pour examiner les réactions des économies émergentes aux annonces de la Réserve fédérale à propos d’un possible ralentissement de ces achats durant la troisième période de l’assouplissement quantitatif à la fin de mai 2013.

En utilisant une analyse d’événements, Sahay et ses coauteurs (2014) constatèrent que les variations des prix d’actifs et des flux de capitaux furent fortement associées aux annonces de la Réserve fédérale. Leur étude indique que les annonces initiales affectèrent indistinctement toutes les économies, mais au cours du temps l’impact varia d’une économie à l’autre en fonction des fondamentaux macroéconomiques. En particulier, les réactions de marchés durant la période où la Fed évoqua la possibilité d’un tapering furent moins évidentes dans les économies présentant de meilleures fondamentaux, des marchés financiers plus profonds et de meilleures perspectives de croissance. Dans une autre étude, Chen, Mancini-Griffoli et Sahay (2014) employèrent des techniques d’étude d’événements sur la période s’étalant entre janvier 2000 à mars 2014 et ils constatèrent que les économies avec de meilleurs fondamentaux furent moins affectées par les chocs de politique monétaire américaine. De même, Mishra et ses coauteurs (2014) analysèrent les réactions de marchés à la politique monétaire américaine en utilisant l’analyse d’événements et soulignèrent l’importance des fondamentaux macroéconomiques dans l’assouplissement des pressions de marché, en particulier sur les taux de change et les rendements d’obligations publiques, mais pas sur les marchés boursiers. Le message qui ressort de ces études pour les pays émergents est l’importance des fondamentaux économiques, la crédibilité des politiques et la liquidité de marché dans l’atténuation de l’impact des politiques monétaires menées dans les économies avancées.

A l’inverse, Eichengreen et Gupta (2014), ainsi que Park, Ramayandi et Shin (2014) ont trouvé peu de preuves empiriques suggérant que les économies caractérisées par de meilleurs fondamentaux macroéconomiques connurent des baisses plus limitées des taux de change, des réserves de change et des cours boursiers. Ce qu’ils considèrent être comme décisif, c’est la taille des marchés financiers, dans la mesure où les économies ayant les plus larges marchés connurent les plus fortes pressions sur leurs taux de change, leurs réserves de change et leurs cours boursiers. Aizenman, Banici et Hutchinson (2014) ont dressé des constats similaires.

Dans les pays en développement asiatiques, comme dans d’autres économies émergentes, l’annonce d’un possible ralentissement des achats d’actifs de la Fed poussèrent à la baisse les cours boursiers, poussèrent à la hausse les rendements obligataires de long terme et les primes de risque, mais aussi affaiblirent les devises locales contre le dollar américain. La brutale dépréciation des devises locales et les déclins des cours boursiers annulèrent au final les hausses de prix d’actifs que certains pays avaient pu précédemment connaître avec les larges afflux de capitaux. La correction du marché boursier atteint son paroxysme la dernière semaine de juin, suivie par une reprise inégale selon les économies. Les turbulences sur les marchés financiers furent principalement ressenties en Inde et en Indonésie, des économies qui connurent ensuite un creusement de leurs déficits courants (…) (ADB, 2013).

Une question additionnelle que d’autres études explorent est la résilience des économies, en fonction de leurs politiques de taux de change. Il n’est pas clair cependant si les politiques domestiques affectant les taux de change ou les comptes externes contribuèrent à limiter les effets de débordement. Par exemple, Eichengreen et Gupta (2014) cherchèrent à déterminer si l’appréciation réelle des taux de change entre 2010 et 2012 contribua à réduire ou à accentuer les réactions des marchés. Ils constatèrent que le régime de change n’a pas influencé les variations des cours boursiers ou du stock de réserves de change. Dans une autre étude, Fratzscher, LoDuca et Straub (2013) analysèrent l’impact mondial de la politique monétaire non conventionnelle de la Fed durant les deux premières phases de l’assouplissement quantitatif. Alors que certaines économies ont cherché à se protéger d’éventuels effets de débordement en intervenant par exemple sur les marchés des changes ou en instaurant des contrôles de capitaux, Fratzscher, LoDuca et Straub (2013) ne parviennent pas à mettre en évidence que l’adoption d’un régime de change rigide ou d’un contrôle des capitaux aida les économies à réduire leur exposition aux effets de débordement. Ils constatèrent également que les économies avec de plus robustes institutions et de plus actives politiques monétaires furent capables de mieux faire face aux chocs. Cela les amena à conclure que c’est l’usage de la politique monétaire et non le maintien de régimes de change fixes qui contribua à protéger les économies. »

Gemma B. Estrada, Donghyun Park et Arief Ramayandi, « Taper tantrum and emerging equity market slumps », Asian Development Bank, working paper, n° 451, septembre. Traduit par Martin Anota



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