« Andrew Haldane, l’économiste en chef à la Banque d’Angleterre, a récemment offert une intervention bien documentée et réfléchie. Il s’est principalement penché sur le problème de la borne inférieure zéro (zero lower bound). Il a expliqué pourquoi nous pouvons nous retrouver dans une telle situation bien plus souvent que nous ne le voudrions et pourquoi l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) n’est pas un instrument très efficace pour régler ce problème. Citons un passage de son intervention :

"L’efficacité de l’assouplissement quantitative comme instrument monétaire semble dépendre de l’état de l’économie et elle est donc incertaine, du moins relativement aux taux d’intérêt. Cette incertitude n’est pas juste la conséquence de preuves plus limitées concernant l’assouplissement quantitatif que concernant les taux d’intérêt. En fait, c’est un aspect intrinsèque du mécanisme de transmission de l’assouplissement quantitatif."

Dans le passé, j’ai souligné le manque de preuves empiriques simplement parce que c’est évident. Mais comme Haldane le montre, les problèmes sont plus fondamentaux que ça. Certaines personnes affirment que nous pouvons toujours obtenir le résultat que nous voulons avec suffisamment d’assouplissement quantitatif. Pourtant si la banque centrale et la population ne savent jamais quelle sera l’efficacité d’un montant donné d’assouplissement quantitatif, alors les retards rendent cet instrument peu efficace. Il est rafraichissant de voir un membre sénior de la banque centrale faire ses limites.

Haldane considère deux manières alternatives de régler le problème de la borne inférieure zéro ou de l’éviter : l’adoption d’une cible d’inflation plus élevée et le débarras de liquidité, afin que les taux d’intérêt puissent s’enfoncer en territoire négatif. Le premier réduit évidemment le bien-être, mais comme Eric Lonergan le suggère le second est susceptible de le réduire également. (Voir aussi Tony Yates.) Mais ce qui est réellement étrange à propos de la présentation de Haldane est ce dont il ne parle pas.

Ce qu’il omet tout d’abord, c’est d’évoquer la possibilité qu’il soit plus efficace de cibler autre chose que l’inflation. Ce qu’il omet aussi, c’est de parler de la monnaie-hélicoptère. Il y a quelques contradictions fondamentales dans les idées que la Banque d’Angleterre se fait de la monnaie-hélicoptère, mais dans la mesure où les banquiers centraux se parlent entre eux je soupçonne qu’ils en parlent en cachette. Un argument est que la monnaie-hélicoptère va quelque peu réduire la confiance dans la devise, mais la banque centrale semble bien contente de chercher à se débarrasser de la liquidité et d’imposer des taux d’intérêt négatifs sur la monnaie comme si tout cela n’était qu’une simple question technique. (…) Un autre argument est que la monnaie-hélicoptère va menacer l’indépendance de la banque centrale parce qu’elle va avoir besoin du gouvernement pour la recapitaliser (si la recapitalisation se révèle nécessaire), alors même que la Banque d’Angleterre a obtenu la garantie du gouvernement qu’elle sera recapitalisée si nécessaire. Tout aussi étrange est l’argument selon lequel l’indépendance de la banque centrale sera menacée lorsque la banque centrale émettra de la monnaie-hélicoptère parce que les gouvernements vont désirer la monnaie pour eux-mêmes, comme si les politiciens n’avaient pas noté le montant de monnaie créé à travers l’assouplissement quantitatif. Après tout, la proposition de Jeremy Corbyn fut une réponse à la réalité de l’assouplissement quantitatif et non à la possibilité de la monnaie-hélicoptère.

L’argument réellement ironique est que la monnaie-hélicoptère ressemble de trop à la politique budgétaire et qu’il doit y avoir un contrôle démocratique sur la politique budgétaire. C’est ce que les banquiers centraux veulent dire lorsqu’ils parlent d’un brouillage de la ligne de démarcation entre politiques monétaire et budgétaire. L’argument est ironique car je suis sûr que si vous demandiez aujourd’hui à la plupart des gens ce qu’ils préfèreraient (entre avoir 4 % d’inflation en moyenne ou recevoir occasionnellement un chèque de la part de la banque centrale) leur réponse sera évidente. Donc nous excluons la monnaie-hélicoptère parce qu’elle est non démocratique, mais nous excluons un débat sur la monnaie-hélicoptère parce que les gens ordinaires pourraient en aimer l’idée.

Il y a aussi un peu d’hypocrisie. On entend souvent dire que la monnaie-hélicoptère ne serait pas nécessaire au motif qu’elle aurait un impact très similaire à celui de la politique budgétaire conventionnelle. C’est vrai, mais ceux qui avancent un tel argument passent sous silence le fait que les gouvernements autour du monde ont embrassé l’austérité budgétaire à cause des craintes suscitées par leur endettement. Ce n’est pas comme si la possibilité de la monnaie-hélicoptère restreignait les capacités de gouvernements d’une quelconque manière. Si les gouvernements optaient pour la relance budgétaire dans une récession, la monnaie-hélicoptère ne serait pas aussi nécessaire qu’aujourd’hui et les banques centrales n’auraient pas à y recourir.

Donc c’est une bonne chose que certaines personnes à la banque centrale pensent à propos d’alternatives à l’assouplissement quantitatif ; ce dernier est un instrument peu efficace, avec des répercussions négatives et potentiellement permanentes sur la distribution. C’est une honte que la banque centrale n’ait même pas fait savoir qu’il existe une solution simple et sans coûts à ce problème. Je suis favorable à l’indépendance de la banque centrale, mais cette indépendance lui impose l’obligation de ne pas exclure de parler de d’autres options politiques au seul motif quelles amèneraient à briser certains tabous. »

Simon Wren-Lewis, « Haldane on alternatives to QE, and what he missed out », in Mainly Macro (blog), 20 septembre 2015. Traduit par Martin Anota