« Le changement démographique est l’un des plus importants déterminants du paysage économique et social futur. Plusieurs chercheurs ont observé comment les changements dans la taille et la composition de la population influencent les dynamiques macroéconomiques. Les canaux à travers lesquels les changements démographiques affectent une économie incluent notamment les comportements d’épargne et d’investissement, les décisions relatives au travail et les réactions de l’offre et de la demande globales. Dans les moyen et long termes, les changements dans l’offre de travail et dans la productivité (qu’ils soient considérés comme exogènes ou bien perçus comme provoqués par les changements démographiques) peuvent significativement altérer l’offre agrégée d’une économie et par conséquent la croissance économique, dans la mesure où les changements démographiques affectent le montant des intrants disponibles et la manière par laquelle ils sont combinés. A court terme, les transitions démographiques sont susceptibles d’affecter la demande agrégée, puisque le montant de consommation et d’investissement va fondamentalement déprendre des changements structurels des profils âge-gains de la population. (…)

Il est crucial d’analyser proprement les répercussions macroéconomiques des changements démographiques pour déterminer quelles sont les réponses politiques appropriées pour minimiser les effets adverses ou les distorsions indésirables. (…) Il y a eu de nombreuses études analysant comment divers aspects des changements démographiques pouvaient affecter l’économie, dans ses dimensions réelles, budgétaires, financières et externes. Il y a globalement deux approches pour analyser l’impact macroéconomique des changements démographiques. L’approche standard suppose un comportement spécifique à chaque âge qui soit constant, par rapport à l’emploi, aux rémunérations, à la consommation et à l’épargne (…). Même si cette approche est utile pour capturer les soi-disant effets comptables des transitions démographiques, les résultats obtenus peuvent décevoir, dans la mesure où les comportements économiques peuvent changer et les aspects institutionnels s’ajuster face aux changements démographiques. La seconde approche prend en compte les réponses comportementales, institutionnelles et globales. Elle introduit des complexités supplémentaires pour suivre plusieurs canaux et mettre en évidence leurs interactions. Cependant elle permet d’enrichir l’analyse en incluant les variations de prix provoquées par le vieillissement, la diversification international et les changements de politiques.

Du côté de la macroéconomie, les questions démographiques ont été largement traitées dans le contexte de la croissance économique. Dans les pages de manuels parlant des théories de la croissance, le taux de croissance de la population est considéré comme exogène et sert comme point de départ pour la croissance réelle. Notre étude traite non seulement de l’activité réelle, mais également de l’inflation. La croissance démographique et le vieillissement de la population contribuent à la détermination du taux d’intérêt réel et de l’inflation. En l’occurrence, la manière exacte par laquelle les dynamiques démographiques influencent le taux d’intérêt réel (d’équilibre) dépend de la manière par laquelle elles sont incorporées dans la spécification d’utilité. Dans un modèle à horizon infini avec une taille de ménage croissante, le taux d’intérêt réel peut ou non dépendre du taux de croissance de la population. Cette ambigüité est une source de difficulté pour déterminer quelle pourrait être la réponse adéquate de la politique monétaire dans un monde où la croissance de la population connait des changements aussi bien à court terme qu’à moyen terme.

Les données empiriques concernant les répercussions sur la croissance ont été abondamment étudiées. Les canaux de transmission impliquent le facteur travail, le fardeau des impôts et des cotisations sociales, l’épargne, l’investissement et la productivité. L’impact démographique sur le PIB réel agrégé est assez facile à saisir lorsque la population croît, décline ou vieillit, dans la mesure où c’est surtout la « quantité » de facteur travail disponible dans l’économie qui s’en trouve directement affectée, mais son impact sur le PIB réel par tête est plus difficile à appréhender (…). Par exemple, (…) Callen et ses coauteurs (2004) constatent que la croissance du PIB par tête est positivement corrélée avec les variations de la part de la population en âge de travailler, mais négativement corrélée avec les variations de la part de la population âgée. En décomposant la croissance du PIB pour déterminer la contribution de la productivité et des changements du facteur travail liés à la croissance démographique et au vieillissement de la population, Choi et ses coauteurs (2010) montrent que le changement démographique en cours en Corée du Sud freine la croissance du PIB réel. Cependant, même si Bloom, Cunning et Fink (2010) constatent que le vieillissement démographique va peser sur les taux d’activité et les taux d’épargne, ce qui suscite des inquiétudes quant aux perspectives de croissance économique, les réponses comportementales (notamment l’entrée des femmes dans la vie active) et les réformes (notamment le report de l’âge légal de départ à la retraite) peuvent compenser les conséquences économiques négatives du vieillissement démographique.

La croissance de la population affecte également d’autres variables réelles. L’influence des variables démographiques a été étudié dans le contexte dans de variables économiques clés (…) comme le ratio épargne sur PIB, le ratio investissement sur PIB, le ratio compte courant sur PIB et le ratio solde budgétaire sur PIB. Si l’hypothèse du cycle de vie de l’épargne est valide, le lissage de la consommation à travers la durée de vie impliquerait que les gens épargnent tout d’abord dans leur jeunesse, qu’ils épargnent au cours de leur vie active, puis enfin qu’ils désépargent au cours de leur vieillesse. L’impact démographique sur l’investissement semble moins clair ; son impact est susceptible de passer par les canaux de l’épargne et de l’offre de travail. Etant donnés l’évolution des dynamiques d’épargne et d’investissement, ainsi que les changements démographiques, les soldes de compte courant devraient s’améliorer avec l’accroissement de la population en âge de travailler, mais se dégrader avec l’accroissement de la part de la population âgée. Du côté budgétaire, une hausse de la part de la population en âge de travailler va générer de plus grandes recettes publiques, tandis que le vieillissement de la population va entraîner de plus grandes dépenses dans des domaines tels que les retraites et les soins de santé, ce qui dégraderait l’équilibre budgétaire. Les études existantes, notamment celles de Callen et de ses coauteurs (2004) et celle (…) de Philips et de ses coateurs (2013) au FMI confirment globalement ces hypothèses (…).

Il y a eu peu d’études sur l’inflation dans le contexte des dynamiques démographiques. Une population déclinante et vieillissante peut générer des pressions déflationnistes sur l’économie à travers la chute de la demande globale, un effet de richesse négatif provoqué par la chute des prix d’actifs et des changements dans les prix relatifs reflétant un changement des préférences de consommation. En se focalisant sur l’interaction entre la démographie et la volonté de redistribuer les ressources (…), Bullard et ses coauteurs (2012) affirment qu’un baby boom peut accélérer temporairement l’inflation et le vieillissement démographique va au contraire pousser le taux d’inflation à la baisse, voire entraîner une déflation.

Cependant les données empiriques sur l’inflation ont été rares et peu concluantes et il y a également des difficultés intrinsèques à identifier l’impact empirique sur les prix d’actifs. Un modèle DSGE complet qui est habituellement utilisé par les économistes du FMI (…) a été modifié pour incorporer les changements démographiques (quoique de façon ad hoc) par Anderson, Botman et Hunt (2014), afin de déterminer si le vieillissement démographique du Japon est ou non déflationniste. Ces auteurs constatent que le vieillissement de la population génère de puissantes pressions déflationnistes, principalement à travers le déclin de la croissance économique et la chute des prix des terrains, mais leurs constats sont davantage tirés d’un modèle calibré plutôt que de l’analyse empirique.

Le Japon est l’un des pays qui ont été les plus étudiés dans le cadre des changements démographiques. Non seulement il a connu de grands changements en termes de croissance économique, mais sa transition d’une société vieillissante vers une société âgée est la plus rapide dans l’histoire mondiale. Trois pays européens (la France, l’Allemagne et l’Angleterre) achèvent le passage d’une société vieillissante vers une société âgée en 115, 45 et 45 ans respectivement ; il fallut 65 ans pour que les Etats-Unis achèvent cette transformation. Ce changement prit seulement 24 ans au Japon. Muto et ses coauteurs (2012) se sont demandé comment les changements démographiques affectent le PNB par habitant et d’autres variables réelles, principalement via son impact du côté de l’offre. A l’inverse, Katagiri (2012) capture les effets via les canaux de la demande globale en calibrant des chocs de préférences qui correspondent aux bouleversements des structures de demande que l’on a pu observer au Japon. L’effet des changements démographiques sur le taux d’intérêt réel a été étudié dans un cadre à horizon infini par Ikeda et Saito (2012).

La difficulté tient dans le choix des variables appropriées pour capturer les changements démographiques. Dans un modèle de croissance à agent représentatif, la croissance de la population est une composante exogène qui est utilisée pour l’analyse empirique. Cependant, dans un modèle avec agents hétérogènes, typiquement dans le cadre d’un modèle à générations imbriquées, il y a des changements en termes de composition dans la démographie. Callen et ses coauteurs (2004) ont utilisé la part de la population en âge de travailler et la part de la population âgée comme deux variables indépendantes ; d’autres études, comme celle de Muto, Oda et Sudo (2012), capturent la croissance et la composition de la population via le taux de fertilité et le taux de longévité. Alors que les changements dans la fertilité ou la mortalité sont des moteurs clés derrière les changements démographiques, ils peuvent ne pas être un indicateur adéquat pour analyser l’impact macroéconomique des changements démographiques, vu le long délai avec lequel ils affectent la structure de la population et par conséquent l’économie. Pour cette raison, les indicateurs démographiques reflétant la structure en termes d’âge, tels que la part de la population en âge de travail ou les ratios de dépendance, ont souvent été utilisés pour examiner leur impact sur la macroéconomie. (…) »

Jong-Won Yoon, Jinill Kim et Jungjin Lee, « Impact of demographic changes on inflation and the macroeconomy », FMI, working paper, n° 14/210, novembre 2014. Traduit par Martin Anota



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